Titre de la review :

De l’aménagement au ménagement des cours d’eau : le bassin de la Loire, miroir de l’évolution des rapports entre aménagement fluvial et environnement


Figure :

Changement de stratégies de gestion de la Loire et de ses affluents entre 1980 et 2010. Conséquences des conflits et des controverses liés à la pensée techniciste. Rode, 2010

Résumé de la review :

La Loire est un des plus grands fleuves français qui a été soumis à 3 grandes phases d’aménagement. La 1ère au Moyen-âge, pour la protection et l’exploitation des terres arables (1ères réductions de la largeur du lit) , la 2ème au cours du 16e et 19e siècles correspond à une étape de levées insubmersibles, et la 3ème englobe la montée de l’urbanisation de terres en zones inondables et la construction de centrales nucléaires ou hydro-électriques à partir du 20e siècle et donc de multiples barrages.
Cette revue analyse sous plusieurs angles (historique, politique, social, écologique, hydrologique) les conséquences de l’aménagement du bassin de la Loire prévu à la fin des années 1980 (mise en place de grands barrages entre 50 et 60m de haut; capacité de rétention avoisinant les 190 M de m3 d'eau) qui a été au cœur de conflits entre aménagistes en génie civil et écologistes. Deux grandes questions sont posées dans cette analyse avec leurs éléments de réponses :

(i) Comment s’est effectué ce passage de l’aménagement au ménagement des cours d’eau ?

  • 1955 à 1980 : les multiples interventions lourdes ne sont que très peu remises en cause, car elles ont hérité d'une conception de la gestion des cours d'eau où l'être humain domine l'eau, et où l'argument que les risques liés aux crues sont évités grâce aux aménagements structuraux (puissance du génie civil). L'imperméabilisation des sols par le béton corrélé à l'accentuation du risque d'inondation est "oubliée".

  • 1980 à 1985 : une crue meurtrière et destructrice (1980) a accentué la volonté de mettre en place ces lourds ouvrages pour épargner la population. Initiation d'un projet de grande envergure (10 ans et éq. à 350 millions € à l'aval de Brives-Charensac). Plusieurs décideurs politiques locaux sont extrêmement favorables, mais il y a quand même de la méfiance dans la population quant aux suites du projet. L'efficacité de ces barrages est questionnée (p.ex "si un barrage est déjà plein, que ce passerait-il si une crue surviendrait ?"). Les scientifiques questionnent aussi les modifications hydromorphologiques (lissage à l'aval, disparition des crues moyennes à fréquentes, transport sédimentaire perturbé, érosion déplacée, etc) et écologiques.

  • 1986: la signature du projet a suscité une levée de réactions de la part des écologistes (mise en place d'une structure de coordination de liaison entre les associations de protection de la nature le long du fleuve, interpellation de l'opinion publique avec la visite du Prince d’Édimbourg président de la WWF, liaison entre le CLV et SSFPN, manifestations, etc). Changement de conscience majeur.

  • 1989 à 2000 : Intervention de l'état par des acteurs du ministère de l'environnement : les "rivières doivent être ménagées". Entrée vers une gestion plus douce et qui tient compte de l'intégrité et des fonctions de l'hydrosystème. Plusieurs projets lourds, jusque-là conservés par des politiques locales, ont été annulés par l'état (Naussac, Chamborchard). Création de la loi sur l'eau en 1992.

  • 2000 à 2010 : Une grande partie de la Loire a été classée par l'Unesco. Des programmes de restaurations sont lancés par l'arasement de certains ouvrages de petite et moyenne taille ou l'achat de terre pour ne rien y faire (favoriser le couvert végétal et une forme d'aménagement). Les espèces rhéophiles ont été favorisées (retour saumon, lamproie). L’état est donc davantage acteur dans l’histoire de la Loire. L’aménagement s’est progressivement infléchi en France en intégrant les enjeux environnementaux. Même si des entreprises comme EDF souhaitent garder des barrages (contraintes UE), des propositions sont faites et étudiées par des spécialistes.

(ii) En quoi celui-ci contribue-t-il à faire évoluer les rapports entre aménagement fluvial et environnement ?

  • Une gestion plus intégrée, c'est à dire qui tient compte des composantes de l'hydrosystème est plus vertueuse qu'une gestion favorable à l'exploitation.
  • Les risques sont davantage étudiés de façon pluridisciplinaire.
Rigueur de la review :

Je trouve cette revue bien construite, car elle apporte autant de poids aux arguments "pour" et "contre" le changement de paradigme. La rédaction est claire et appréciable.

Une seule source n'est pas datée, mais cela ne dépend pas de l'auteur. D'ailleurs, il ne cite pas uniquement des sources rédigées personnellement.

Ce que cette review apporte au débat :

L’eau a longtemps été considérée comme un simple support de réalisation des activités humaines. En effet, sa gestion se donnait pour mission de lever les entraves naturelles à leur déploiement. La conquête des lits majeurs a eu lieu grâce à l’illusion sécuritaire permise par la construction d’ouvrages de protection qui a gommé les extrêmes (crues, étiages).
Le changement de paradigme ne se résume pas à un processus purement rationnel issu de certaines institutions sans rapport concret avec des relations sociales. C’est à l’occasion des nombreuses controverses suscitées par les projets d’aménagement que de nouvelles conceptions ont été définies par certains acteurs avant d’être reprises et validées par l’État dans ses nouvelles politiques publiques.
Accepter les extrêmes est devenu une norme dans la gestion, car les barrages sont contre-productifs pour la réduction des risques de crues, les nouveaux plans consistent à ralentir les dynamiques d'écoulement à l'échelle du bassin versant.

Remarques sur la review :

Sylvain Rode a rédigée une thèse sur les problématiques liées à l'aménagement du territoire et les inondations et il est actuellement maître de conférences en aménagement et urbanisme à l'université de Perpignan (UMR5281).

Publiée il y a presque 4 ans par M. Lefevre et A. Hoste.
Dernière modification il y a presque 4 ans.