Au XXème siècle, l'apparition de bateaux de pêche toujours plus gros et plus performants a permis d´augmenter le nombre de prises, et donc d'apporter une source de nourriture riche en protéines essentielle dans certaines régions du monde (Asie et Scandinavie notamment). Mais les prises ont tellement augmenté que cette pêche industrielle a fini pas mettre en danger les populations de poissons, menaçant ainsi les écosystèmes marins, la sécurité alimentaire et une industrie importante pour de nombreuses communautés. Il est donc devenu urgent d'agir pour endiguer ce phénomène de surpêche.
Dans les années 1970, les premiers systèmes de gestion basés sur des quotas ont été expérimentés. concernant un nombre limité d'espèces dans un premier temps[1]. Le seuil des 200 programmes différents a été franchi vers 2011. L'augmentation rapide du nombre de ces systèmes de quotas pose la question de leur efficacité à réduire la pression sur les populations de poissons. C´est là tout l´enjeu de cette controverse : les quotas de pêche sont-ils bénéfiques ou au contraire néfastes pour l'état des stocks de poissons ?
Différents types de quotas ont été implémentés, parfois détenus par les acteurs économiques, les communautés ou même les localités géographiques, ils sont échangeables ou non.[1] La littérature fait tout de même état de la surreprésentation des quotas échangeables (pour des raisons d'efficience économique surtout)
Afin d´ordonner la réflexion, commencons par l´analyse de cas particuliers avant d´essayer de dresser un portrait global (analyse en échelle croissante)
L'article de T. E. Essington[2] présente les résultats obtenus pas les systèmes de quotas nord-américains. L'auteur analyse l´état de la biomasse (les populations de poissons) avant et après la mise en place de quotas pour 22 pêcheries de la région. Grâce à une étude statistique, il démontre deux points importants, valables jusqu’à preuve du contraire uniquement pour le cas particulier de l'Amérique du Nord :
Un second article vient généraliser ces résultats :[3]
Les auteurs s'intéressent cette fois à 224 pêcheries du monde entier ayant mis en place, ou non, des systèmes de quotas. Il est ainsi possible de comparer comme précédemment avant vs après quotas, mais aussi avec vs sans quotas (sur toute la période), et de faire des analyses groupées par région du monde. La taille de l'échantillon permet ces distinctions (plus l´échantillon est grand, plus les résultats sont statistiquement fiables). Les résultats confirment les conclusions de l´article précédent : en moyenne la biomasse n'est pas influencée par la présence ou non de quotas, mais la variance peut être réduite.
Un autre résultat est très important pour notre analyse en échelle croissante : les auteurs démontrent que la réaction de la biomasse aux systèmes de quotas est relativement identique dans toutes les régions. Il devient donc possible de généraliser les résultats obtenus pour une localité particulière et d'en tirer des conclusions générales (avec beaucoup de prudence tout de même).
Continuons notre transfert d'échelle : nous voici à l´échelle mondiale. L´article de C. Costello et al.[4] est impressionnant par la quantité de données qu'il prend en compte : pas moins de 11 135 pêcheries (on parle d´analyse quantitative). Ce large échantillon rend plus difficile la conduite d´analyse très fine, mais ce n'est pas un problème ici. Ce papier s´intéresse au cas extrême de l'effondrement des populations de poissons (lorsque les prises, signes visibles de l'état des stocks, diminuent de plus de 10% par an). Les auteurs montrent que les pêcheries gérées par des systèmes de quotas ont moitié moins de "chance" de provoquer l'effondrement des populations de poissons associées par rapport aux pêcheries sans quotas. Cela ne veut pas dire que les stocks avec quotas sont en bonne santé, mais qu´au moins ils sont moins en extrême danger.
Ces résultats peuvent paraître contradictoires : certains scientifiques trouvent que les quotas n'ont pas d´impact sur le nombre moyen d'individus dans les populations de poissons, d'autres qu'ils permettent de limiter les effondrements de stocks. En réalité, les auteurs expliquent eux même pourquoi ces résultats varient : il y a "quotas" et "quotas". Certains systèmes sont bien pensés et respectent les recommandations scientifiques pour fixer le montant total de quotas alloués chaque année : ces systèmes ont de bonnes chances d´être bénéfiques pour les populations de poissons. Au contraire, d´autres ne tiennent pas compte des recommandations des experts et ne suivent que des logiques économiques et/ou sociales (respectables par ailleurs, mais parfois incompatibles avec les enjeux de préservation) : ces systèmes, sans être forcément plus néfastes qu´une situation sans aucun modèle de gestion, ne permettront sans doute pas la préservation des poissons.
Quelles sont les qualités que doit avoir un système de quotas pour être bénéfique à la biomasse ? Un des articles[3] parle de la nécessite d'avoir des systèmes sécurisés, notion reprise, entre autres, par la revue générale des systèmes de quotas[1]. Les quotas ne seraient efficaces que si les acteurs économiques ont une vision à long terme de leurs bénéfices possibles. Dans le cas contraire, ils ont une incitation implicite à se ruer sur les poissons pour être sûr de pouvoir jouir de leurs quotas tant qu´il est temps : ce n´est évidemment pas favorable à un gestion raisonnée et pérenne des pêcheries.
La mise en place de quotas de pêche est-elle bénéfique ou néfaste pour les populations de poisson ?
La réponse semble donc être que les quotas peuvent être bénéfiques pour la biomasse, ou neutres. Si tous les systèmes de quotas ne sont pas efficaces, aucun ne semble en tout cas être particulièrement néfaste (par rapport à l'absence totale de modèle de gestion).
Cela ne veut pas dire pour autant que les quotas, même bénéfiques, sont LE meilleur système de gestion. Mais c'est une autre histoire.