Introduction
Réfugiés climatiques, hausse des températures, montée des eaux, l'actualité le montre, le changement climatique est au centre de tous les débats. Alors que le climatoscepticisme est écarté de la pensée politique depuis les accords de la première Conférence des parties en 1995, il a fallut attendre la COP21 (http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/l09f.pdf), pour qu'un accord universel aboutisse face au dérèglement climatique actuel. Cette crise politique est avant tout écologique et face à ce manque de réactivité, de nombreux chercheurs envisagent depuis longtemps les possibilités de manipuler le climat à large échelle. Les outils développés ainsi ont été regroupés sous le terme de "géo-ingénierie".
Depuis le rapport de 2007 de l'IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), le taux de dioxyde de carbone atmosphérique est accusé d'être le principal responsable des changements climatiques et notamment l'augmentation des températures moyennes globales par l'augmentation de l'effet de serre.
Ainsi, les techniques qui relèvent de la géo-ingénierie reposent essentiellement sur deux principes (Fig.1) :
Éliminer une partie du dioxyde de carbone présent dans l'atmosphère: Les techniques dites CDR (Carbon Dioxyde Removal);
Augmenter la réflectance de la terre afin de réémettre la chaleur solaire vers l'espace: Les techniques dites SRM (Solar Radiation Management).
Il est important de préciser qu’en l’état actuel des choses, le GIEC (Groupement International d’Experts sur le Climat) ne recommande pas la géo-ingénierie pour la lutte contre le réchauffement global. Les détracteurs de cette approche considèrent que ce serait une prise de risque trop importante au vu des éventuels effets secondaires à grande échelle et que cela pourrait empêcher de prendre des décisions importantes sur la pollution actuelle. Tout ces aspects font de la géo-ingénierie un sujet de controverse actuel brulant et fait bien évidemment appel à des questions politiques (gouvernance) et économiques (coûts). Toutefois nous resterons en retrait vis à vis de ces questions et resteront plutôt attaché à leurs pendants scientifiques et notamment écologiques.
1. CDR : Voies de capture et de stockage du CO2 atmosphérique
Fertilisation des océans
Les océans représentent le puits majeur du cycle du carbone est pourrait être optimisé par fertilisation ou alcalinisassions [1]. Plus de détails sont disponibles dans la controverse associée ( ici ).
Reforestation
Les forêts sont également des écosystèmes essentiels du cycle du carbone. Elles couvrent actuellement une surface de 4 milliards d’hectares et séquestrent ainsi une très grande quantité de carbone, à peu près le double de la quantité de carbone atmosphérique. Elles absorbent environ 3 milliards de tonnes de carbone (3 GtC) anthropogénique par an, ce qui correspond à 30% du CO2 provenant de la combustion des produits pétroliers et de la déforestation [2]. Optimiser ce flux entrant de carbone est une voie privilégiée de la géo-ingénierie.
Stratégies de reforestation
Augmenter les surfaces boisées (reforestation) et créer de nouvelles forêts (afforestation):
La première approche permet d’estimer la quantité limite de carbone pouvant être séquestrée et correspondant aux surfaces déboisées dans l’histoire récente. En estimant que les trois quarts de ces zones pourraient être réhabilitées dans les 100 prochaines années, on arrive à une réduction théorique des concentrations atmosphériques de CO2 de 40 à 70 parts par million (ppm)[3]. Ceci dit, les scénarios les plus optimistes du GIEC prévoient un niveau stable d’environ 450 ppm de CO2. De plus, seule une fraction de cette surface pourrait être reboisée du fait des compétitions sur l’utilisation des surfaces (agriculture, urbanisation…). Une solution envisagée pour favoriser la reforestation serait d'utiliser les forêts comme source d’énergies à la place des produits pétroliers.
Un autre axe important est la réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation. Lutter contre les incendies permet de limiter la quantité de carbone libéré par les forêts et donc d’améliorer le bilan global du stockage du carbone. Par exemple aux USA lutter contre les incendies a permis d’augmenter la séquestration de carbone de 15 % (environ 8.1 GtC) entre 1927 et 1990[4].
Actuellement 13 Mha de forêts sont détruites par an, quasi exclusivement en zone tropicale, ce qui libère 1.5 GtC par an. Limiter ce phénomène permettrait d’éviter l’émission de 50 GtC d’ici là[2].
Limites de la reforestation
Le reboisement est gourmand en surfaces terrestres, et toutes les zones ne sont pas équivalentes dans leur pouvoir de stockage de carbone : certaines zones sont trop arides, trop polluées ou en compétition avec d’autres utilisations du sol.
Les changements globaux peuvent aussi affecter les forêts. En effet l’augmentation des évènements extrêmes tels que les feux de forêt sauvages ou les épidémies d’insectes peuvent augmenter le relargage de carbone dans l’environnement. Par exemple les forêts canadiennes qui étaient des puits à CO2 jusqu’aux années 2000 sont devenues des émetteurs de carbone net et risquent de le rester à long terme[5].
Enfin les forêts pourraient aussi affecter les propriétés biophysiques des surfaces terrestres telles que l’albédo et l’évaporation. Des modélisations sur une reforestation large en région boréale montrent que cela changerait l’albédo terrestre à cause d’une substitution de zones enneigées brillantes par des forêts sombres[6].
Limites de l'afforestation
Planter une forêt sur une grande surface longtemps dépourvue d'arbre représente un changement écosystémique drastique et peut avoir des conséquences inattendues. Par exemple, reboiser une surface aussi grande que le Sahara est une tache immense qui, à terme, n'est pas exempte d'effets secondaires indésirables comme la dispersion de maladies, auxquels il est nécessaire de se préparer[7].
D'autres formes de CDR sont à l'étude tels que le biochar, l’érosion chimique des roches silicatés, la capture physique ou chimique ou l’utilisation des courants de down-welling[1]. Cependant leur utilisation est contrainte par leur effet trop local ou leur manque de viabilité économique.
2. SRM: voies de gestion de l'équilibre radiatif de la planète
Renvoyer vers l'espace les rayonnements solaires pouvant être piégés par effet de serre est possible à deux niveaux: la surface terrestre ou l'atmosphère.
Les surfaces terrestres déjà managées par l'Homme semblent être un levier immédiatement utilisable et réactif pour cet usage. Les toits et routes urbaines sont responsables de " l'effet îlot" qui emmagasine la chaleur la journée pour la restituer la nuit. Augmenter l'albédo [8] de ses surfaces semble un moyen économique de faire face au réchauffement local[9], mais des modélisations globales sur le long terme montrent que le problème est simplement déplacé dans le temps (moins d'évapotranspiration, moins de nuages donc plus de chaleur incidente à long terme)[10]. Dans le cas du management de l'albédo des surfaces cultivées, le problème de réchauffement semble être déplacé dans l'espace. En effet, augmenter l'albédo des plantes cultivées pourrait causer un refroidissement à l'échelle globale mais exacerber des inégalités climatiques telles que la sécheresse en Australie[8].
Une autre solution envisageable est alors d’empêcher les rayonnements chauffant "d'entrer dans la serre", c'est à dire de franchir l'atmosphère. La plus connue consiste à injecter des particules de souffre dans la stratosphère en s’inspirant des diminutions de température observé lors des éruptions volcaniques. Cependant, des effets non désirés sur le cycle hydrologique et l’ozone stratosphérique sont à prévoir. Cette pratique interdite pour le moment fait l'objet de nombreuses modélisations dont les résultats sont positifs. Toutefois, l’arrêt brutal de cette pratique entraînerait une forte augmentation du réchauffement global [1].
Une deuxième technique consiste à modifier la réflectance des nuages marins avec de l’eau salée ou des composés chimiques sous forme d’aérosols. Mais un fort effet régional a été mis en évidence ainsi qu’un impact sur les précipitations, auxquels s'ajoutent sans doute des effets secondaires encore méconnus [1].
Enfin à l'échelle spatiale, des boucliers solaires en orbite pourraient refléter les radiations solaires. Une autre proposition est de créer un anneau ou un nuage de poussière autour de la Terre. L’avantage de ces approches est leur effet rapide et significatif mais les effets secondaires sont mal connus. On note que ces techniques réduisent l’insolation totale de la Terre, mimant une augmentation globale de l’albédo[1].
Limites des SRM
Les effets secondaires des SRM sur le cycle hydrologique dépendent fortement de la technique utilisée mais l’augmentation des précipitations dût à l’augmentation de la température serait surcompensée par l’utilisation de SRM. Les approches basées sur les aérosols induiraient une réduction deux fois supérieure à celle basée sur les miroirs. Cette différence est dût à une meilleure absorption des longueurs d’ondes par les aérosols et par l'effet de serre résultant.
Pour le gradient de température pole-équateur, il diminue dans tout les cas mais les aérosols d’eau de mer entraînent une réduction plus forte du réchauffement dans les tropiques. Cette technique génère aussi une diminution des pluies au dessus des océans et une augmentation au dessus des terres. De plus les simulations indiquent alors un changement dans la circulation de Walker entraînant des conditions proches de la Niña [11].
Conclusion et Perspectives
Dans le cadre de le géo-ingénierie, le principal défi est l'approche globale, à l'échelle planétaire. En effet les mesures à prendre seraient amenées à toucher l'ensemble de la planète ce qui représente une difficulté majeure pour les scientifiques. L'approche expérimentale donne une idée relativement précise des effets d'un traitement en un point donné, mais les dispositifs ne peuvent être étendus à la Terre dans sa globalité et l'extrapolation reste difficile du fait de l'hétérogénéité de notre planète[12]. La modélisation peut apporter une réponse plus globale à travers des modèles complexes pouvant intégrer des dimensions anthropiques [13] et des tendances prédictives via des scénarios climatiques extrêmes [3]. Ces modèles permettent aussi d'alerter l'opinion sur les éventuels risques de la géo-ingénierie. En effet, s'il s’avérait possible de manipuler le climat à large échelle, d'éventuels effets secondaires néfastes pourraient se manifester à la même échelle [7].
On constate que les CDR ont un fort coût et sont capables de séquestrer qu'une partie limitée des émissions anthropiques, alors que les SRM ont un faible coût et un effet rapide.
Il ressort de cette réflexion deux alternatives: réduire les émission en parallèle de l'utilisation des CDR ou mettre en place des SRM avec les risques et la dépendance qui y sont liés.
Il reste donc de grandes incertitudes sur les impacts écologiques, économiques et politiques de la géo-ingénierie et ce constat fait l’unanimité dans la communauté scientifique. Toutefois la géo-ingénierie n'est pas écartée pour autant et des plans de recherches préliminaires ont été proposés dans le but de mettre en évidence ces enjeux majeurs [12].
Au delà des attendus écologiques traités dans cette synthèse, la géo-ingénierie pose de grandes questions politiques quant à la gouvernance et à la responsabilité des ces moyens d'envergures. D'autre part la question économique reste très présente, la plupart des techniques évoquées ici ayant des coûts humains et financiers très importants.
En bref la géo-ingénierie pourrait faire partie d'un ensemble de solutions à mettre en place face aux changements climatiques actuels mais elle ne peut être considérée comme LA solution, exclusive aux autres démarches. La modération de la consommation d'énergie, le développement massif des énergies renouvelables et la limitation des émissions de gaz à effet de serre représentent des réponses peut-être moins radicales mais plus adaptables à l'ensemble des états. Enfin des contraintes juridiques internationales seront nécessaires pour appliquer ces démarches écocitoyennes.