Morphologie paléoaméricaine dans le contexte de la variation de la fin du Pléistocène en Europe et en Asie de l'Est : implications pour la dispersion humaine dans le nouveau monde
Au cours des deux dernières décennies, l'idée de certains chercheurs selon laquelle les premières populations américaines présentaient un profil morphologique distinct de celui observé chez les amérindiens récents a été largement corroborée. En effet, des études évaluant les affinités morphologiques des premiers crâne américains ont montré que ces crânes datés de plus de sept milles ans (BP) présentaient généralement une morphologie différente de celle observée dans les populations plus tardives. Cette observation est bien appuyée en Amérique du Sud, où de grands échantillons de spécimens précoces sont disponibles.
Dans cette étude, les auteurs testent les hypothèses selon lesquelles la morphologie des premiers américains résulte de la rétention du modèle morphologique observé chez les eurasiens du Pléistocène supérieur, et que l'occupation du nouveau monde précède la différenciation morphologique qui a donné naissance à la morphologie eurasienne et américaine récente.
Les auteurs ont comparé des échantillons de crânes des premiers américains à des crânes européens du Paléolithique supérieur, des spécimens de la Haute Caverne de l'Asie de l'Est Zhoukoudian (fin Pleistocène) et une série de 20 crânes de référence humains modernes. L'analyse canonique (CVA) et des arbres couvrant de poids minimal (MST) ont été utilisés pour évaluer les affinités morphologiques entre les séries, tandis que les tests de Mantel et Dow-Cheverud basés sur les distances carrées de Mahalanobis ont été utilisés pour tester différents scénarios évolutifs.
Comme prévu, le CVA semble montrer que les groupes amérindiens sont associés aux populations d'Asie de l'Est, tout comme à certaines européennes (Norse et Zalavar). Le MST relie tous les premiers échantillons les uns aux autres et à l'Afrique subsaharienne. Presque aucune relation entre les premières séries et les échantillons modernes de leurs régions géographiques respectives ne peut être observée.
Les résultats de corrélation de Mantel entre les distances morphologiques et les modèles de dispersion testés, montrent que le modèle 4 présente un coefficient de corrélation significativement plus élevé que les autres modèles. Il soutient le scénario selon lequel les premiers groupes partagent un modèle morphologique commun et que la diversification morphologique moderne s'est produite à une période ultérieure.
Les résultats des tests Dow-Cheverud montrent que seul le modèle 4 est significativement plus fort que le modèle 1 (témoin). Ceux-ci rejoignent les conclusions précédentes.
Les auteurs de cet article précisent que les résultats obtenus sont basés sur les affinités morphologiques des premiers crânes de seulement trois grandes régions géographiques (Amérique du Sud, Europe et Asie de l'Est), l'un d'entre eux n'étant représenté que par deux individus (Asie de l'Est). Par conséquent, les résultats présentés ici doivent être considérés comme provisoires. Il est en effet possible qu'en incluant du matériel ancien provenant d'autres régions comme l'Amérique du Nord, l'Afrique et l'Australie, le profil des affinités morphologiques observé change.
Cette étude suggère ainsi que la différenciation morphologique qui caractérise les groupes d’humains modernes s’est produite longtemps après l'expansion initiale de l’Homo sapiens hors d'Afrique, et après la première expansion humaine dans le nouveau monde à la fin du Pléistocène.
De plus, selon plusieurs études, l'adaptation au climat froid est l'une des forces responsables de la différenciation morphologique de l’homme moderne. Puisque le détroit de Béring est considérée comme l'entrée des premiers groupes américains, cette traversée d'un environnement rigoureux et froid a dû être un processus relativement rapide, de sorte que l'adaptation morphologique des premiers groupes au climat froid ne puisse avoir lieu (les environnements côtiers pourraient représenter des voies d'expansion rapides). Cette suggestion va à l'encontre des preuves moléculaires, qui ont récemment proposé une période d'isolement biologique des groupes proto-américains, probablement en Béringie, entre 35 et 25 ka BP.
Cet article rejoint dans certaines de ses conclusions l'article de Vark et al. (2003).