Différences d'utilisation des ressources florales entre abeilles mellifères et abeilles sauvages dans un système d'exploitation agricole intensive
L'élaboration de Plans Agro-Environnementaux cherche à endiguer les nuisances des agrosystèmes intensifs sur les pollinisateurs, soit en augmentant les ressources florales locales, soit en protégeant des milieux semi-naturels : chaque stratégie ne favoriserait pas les mêmes espèces.
Les abeilles mellifères montreraient une préférence marquée pour les cultures à profusion de fleurs pour stocker de grandes quantités de nourriture pour la colonie, avec des adaptations comportementales d'optimisation du butinage.
A contrario, les abeilles sauvages approvisionneraient leur nid pour le développement d'une unique larve par cellule et récolteraient efficacement des ressources florales natives peu abondantes mais diversifiées.
Les bourdons, eusociaux à petites colonies annuelles, auraient un patron d'utilisation des ressources intermédiaire.
Pour tester ces prédictions, cette étude a comparé, en France, le fourragement de ces 3 groupes dans 5 habitats, sur 3 ans.
De 2010 à 2012, des études de visites de fleurs ont été réalisées en Poitou-Charentes sur 812 sites en :
sur 2 périodes : la floraison du colza et celle du tournesol.
Les observations et captures au filet se faisaient en 15 minutes (entre 10 et 19h de 16 à 34 °C), sur des transects de 50x2m pour les champs et milieux herbacés, par parcelle pour les bois, les individus étant identifiés au niveau taxinomique le plus fin possible.
L'utilisation des ressources est définie comme l'intensité de butinage (nombre d'abeilles butinant par habitat) enregistrée pour 3 grandes catégories :
Le modèle linéaire généralisé mixte sélectionné avait pour variables dépendantes l'occurrence et l'abondance de chaque groupe, et pour variables explicatives le type d'habitat, le groupe d'abeilles, et leur interaction.
Les hypothèses sont confirmées : les abeilles domestiques sont plus fréquentes et abondantes sur les champs à floraison massive qu'en milieux semi-naturels (40 fois plus abondantes que les sauvages sur le tournesol).
Les abeilles sauvages sont davantage en milieux semi-naturels : boisés au printemps, herbacés en été. Elles sont moyenne 2.5 fois plus fréquentes et abondantes que les domestiques en milieux herbacés, mais avec une forte variance : de 0 (près d'un tiers des transects) à 225 abeilles sauvages observées. Les plantes sauvages n'attirent pas équitablement tous les pollinisateurs : les abeilles oligolectiques (spécialistes) n'ont pas une morphologie adaptée pour toutes les fleurs.
Les bourdons sont moins abondants que les abeilles sur les champs de colza et tournesol, mais restent plus présents sur les cultures que les abeilles sauvages : ils sont ubiquistes et peu abondants.
La chaleur affecte négativement le butinage de tous les groupes.
Les données sont collectées sur un grand nombre de sites et sur 3 ans, en testant des types variés d'habitats e en tenant compte de paramètres tels que la température.
Les analyses statistiques semblent conséquentes et soignées.
De potentiels biais tels que :
ont été scrupuleusement questionnés et pris en compte.
Cette étude révèle des différences marquées de préférences d'habitats entre 3 grands groupes. L'abeille domestique particulièrement favorisée par les champs à floraison massive, mais peut aussi être très présente dans les milieux semi-naturels boisés, ce qui semble chevaucher les préférences des abeilles sauvages au printemps.
En plus de cette ségrégation écologique, une complémentarité d'utilisation est proposée : chaque groupe peut avoir besoin de 2 habitats ou plus pour se maintenir (par exemple la luzerne et les milieux semi-naturels herbacés en été pour les abeilles sauvages).
Sur ces résultats, on peut proposer que la compétition (si elle existe) entre abeilles domestiques et espèces sauvages peut être évitée selon l'habitat considéré, la période de floraison et de la diversité de ressources disponible.
Les niches observées ici sont cependant réalisées : on ne peut pas vraiment savoir si ces différences sont dues à de réelles adaptations (préférences) ou la présence de compétiteurs.