Les pollinisateurs sauvages améliorent la nouaison des cultures indépendamment de l'abondance des abeilles domestiques
Les études sur les effets d'une potentielle disparition des pollinisateurs sauvages dans les cultures sont plus rares que sur les effets d’une disparition d’Apis mellifera. Pourtant, au-delà de l'effondrement des colonies d'abeilles domestiques, on constate aussi la réduction de l'abondance et de la diversité des pollinisateurs sauvages dans les cultures. Ici, on se demande donc si installer davantage de ruches d'Apis mellifera serait assez efficace pour remplacer le rôle des abeilles sauvages dans la pollinisation des cultures mondiales. A travers notamment l'analyse des dépôts de pollen sur les fleurs suite aux visites d'abeilles domestiques ou sauvages, cet article cherche à comprendre les facteurs entomologiques d'augmentation de la nouaison (processus de formation du fruit) dans les cultures d'Afrique, Amérique, Europe, Asie et Océanie.
Les auteurs ont utilisé 600 champs de 41 systèmes de cultures, sur 19 pays d'Afrique, Amérique, Europe, Asie et Océanie. Dans ces champs sélectionnés en fonction de différents critères (pratiques, paysages, densité d’abeilles mellifères...), ils ont regardé les espèces de pollinisateurs qui visitaient les fleurs, mais aussi le succès de la pollinisation (dépôts de pollen ou production de fruits).
Les espèces échantillonnées appartenaient aux familles Apidae, Halictidae, Colletidae, Andrenidae, Syrphidae et Formicidae.
Les variables mesurées furent la fréquence de visite des insectes (nombre de visites par unité de temps), le dépôt de pollen (nombre de grains de pollen déposés par stigma) et la nouaison, ainsi que la richesse spécifique de visiteurs de fleurs par champ.
En termes de statistiques, des modèles linéaires généralisés avec comme variable réponse la nouaison ou le dépôt de pollen ont été réalisés.
Lorsqu’Apis mellifera et/ou les insectes sauvages ont visité les fleurs, les dépôts de pollen furent augmentés. Par contre, la nouaison a été augmentée dans tous les cas par les insectes sauvages mais dans moins de 2 cas sur 10 par les abeilles mellifères.
La pollinisation des insectes sauvages était aussi de meilleure qualité : le dépôt de pollen des pollinisateurs sauvages entraînait une nouaison plus forte que celui des abeilles domestiques. En effet, le comportement des Apis tend à limiter la pollinisation croisée car les transferts se font souvent entre fleurs d’un même individu végétal.
Aussi, les visites additives des pollinisateurs sauvages et domestiques fournissent la meilleure nouaison. Une plus grande richesse spécifique la favorisait également.
Cet article comporte 50 co-auteurs, dont des références dans le milieu de la recherche sur les pollinisateurs de culture (Simon G. Potts, Claire Kremen ou Ingolf Steffan-Dewenter). Il a été cité 1250 fois et représente probablement à ce jour l’article le plus abouti sur la comparaison de pollinisation par les pollinisateurs sauvages ou domestiques.
En ce qui concerne la méthodologie, les auteurs signalent que le biais d’échantillonner des champs à plus forte diversité de pollinisateurs sauvages que la normale est inhérent au design expérimental et de ce fait volontaire. En effet, la répétition de quantification des pertes ou gains de nouaison apportés par ces insectes permettait de mieux qualifier leur importance. De plus, aucune distinction n’a été faite entre les différentes colonies d’abeilles mellifères : celles provenant de colonies gérées et celles provenant de colonies sauvages ont été traitées comme un seul et même groupe, ne permettant pas de différencier leur importance.
D’après cet article, les abeilles domestiques ne peuvent remplacer les abeilles sauvages dans la pollinisation des cultures car beaucoup de systèmes ont besoin d’une grande diversité d’abeilles pour fonctionner. De nombreux phénomènes sous-jacents à la diversité sont nécessaires pour obtenir une pollinisation pérenne (e.g. interactions interspécifiques).
De plus, tout miser sur une seule espèce revient à prendre de nombreux risques : parasites, pathogènes, prédateurs, etc. L’assurance écologique permise par une grande richesse spécifique est donc à préserver. Maintenir cette diversité signifierait ainsi maintenir une diversité des paysages pour la nidification et les ressources, donc impliquerait des coûts financiers et organisationnels.
Cet article est un des seuls que nous ayons à apporter une synthèse de l’importance des abeilles domestiques et sauvages à un niveau global, et non pas en se focalisant sur une seule espèce de plante, un seul système de culture ou un seul pays.