Sur la Chimie et l'Evolution de l'Organisme Pionnier
Il a été proposé que la vie soit d'origine chimio-autotrophe et aurait été formée au sein de sources hydrothermales (environnements volcaniques exhalant du Fer et du Soufre, ainsi que la plupart des éléments nécessaires à la vie). La forte température, le pH alcalin et l'environnement aquatique de ces milieux créent un effet hydrolytique rendant peu probable l'émergence spontanée de biopolymères. Cet environnement est en effet peu propice à un scénario du "gene-first".
L'auteur décrit ici une série de réactions et de mécanismes ayant pu conduire à la formation de molécules organiques carbonées, d'un proto-métabolisme, puis de protéines et d'acides nucléiques dans cet environnement.
Ce proto-métabolisme ferait intervenir une sous-structure inorganique constituée de catalyseurs métalliques tels que le Fer, le Nickel et le Cobalt et une superstructure organique. Les molécules organiques possèderaient différents groupes fonctionnels, tels que sulfido, carbonyl et cyano. La production de ces molécules serait permise par la fixation de Carbone à partir de monoxyde de Carbone, par des réactions d'oxydoréduction (permises par l'environnement réducteur des sources hydrothermales) et par l'intervention des catalyseurs métalliques.
Les constituants de la superstructure organique seraient dans ou adsorbés sur la sous-structure inorganique, permettant leur isolement dans l'espace, le développement de systèmes métaboliques et ainsi la formation d'un "organisme pionnier".
Le scénario présenté propose d'abord la mise en place d'une sélection à déterminisme chimique. La reproduction métabolique s'effectuerait via deux processus. Premièrement, la fixation des molécules organiques sur les catalyseurs métalliques de la sous-structure les maintiendrait dans "l'organisme pionnier" et les préserverait de l'hydrolyse. Ensuite, la capacité de ces molécules organiques à améliorer la synthèse de molécules organiques appartenant à la superstructure favoriserait le maintien du système métabolique. Ainsi, les systèmes métaboliques évolueraient par rétroaction autocatalytique, favorisée par la fixation d'un grand nombre de molécules organiques. Ce type de sélection augmenterait l'indépendance du système vis à vis des conditions environnementales.
Ces systèmes métaboliques auraient notamment conduit à des cycles d'élongations et de clivages peptidiques. De par leur capacité à fixer du carbone, ces peptides porteraient au niveau de leur extrémité N-terminale une structure semblable au noyau imidazole des bases puriques. Cette structure aurait pu avoir pour fonction la catalyse des réactions de synthèse peptidique. Ceci aurait conduit à l'établissement de voies de synthèse peptidique et nucléotidique interconnectées, à partir desquelles aurait émergé une machinerie de traduction. L'évolution de cette machinerie, avec celle des peptides, aurait progressivement conduit à l'apparition de protéines de conformations définies et dépendant de moins en moins de l'interaction avec le ligand métallique.
Parallèlement, cette évolution aurait conduit à l'émergence d'une machinerie de réplication des acides nucléiques. L'émergence de cette machinerie de réplication aurait marqué le passage d'une sélection à déterminisme chimique à une sélection génétique.
Les conditions environnementales permettraient la formation de différentes molécules amphipathiques. Ces molécules se seraient spontanément organisées en bicouche. Progressivement, cette bicouche serait devenue une membrane séparant le système métabolique du milieu aquatique extérieur. Ceci aurait favorisé les réactions de condensation et notamment la formation de biopolymères. Les molécules organiques de forts poids moléculaires auraient ainsi été maintenues dans la "pré-cellule", sans empêcher le transfert de nutriments vers la "pré-cellule". Cet isolement aurait conduit à la formation d'un "organisme pionnier" possédant un métabolisme autonome et un matériel génétique propre.
L'auteur a construit ce scénario à partir d’un mélange de considérations physiques, chimiques et évolutives. Une critique que l’on pourrait faire sur ce scénario est que toutes ses composantes ne sont pas soutenues par les mêmes points de vue.
Les réactions chimiques proposées sont soutenues par des données expérimentales. Ces données expérimentales ne sont toutefois pas toujours fidèles aux conditions environnementales imposées par les sources hydrothermales.
Les considérations évolutives semblent souvent très spéculatives, mais s'appuient sur des caractéristiques parfois très précises des organismes vivants actuels. Par exemple, l'auteur prend en compte le fait que beaucoup de protéines des organismes actuels soient associées à des co-facteurs métalliques impliqués dans différents types de réactions, dont des réactions d'oxydoréduction.
Ainsi, de façon intuitive, l'ensemble semble cohérent d'un point de vue conceptuel, mais reste incomplet et améliorable.
Le scénario proposé par Wächtershäuser est le plus abouti parmi ceux du « metabolism-first ». Il est également l’un des plus considérés à ce jour (Glansdorff et al., 2009).
Par ailleurs, l’environnement dans lequel "l’organisme pionnier" aurait émergé est assez clairement défini. Ainsi, sa faisabilité est testable expérimentalement. Un réacteur mimant ces conditions environnementales a été récemment mis au point à cette fin (Herschy et al., 2014). Le scénario rend possible la modification ou la précision des réactions et mécanismes proposés par l’auteur sur la base de données expérimentales et théoriques. En effet, ce scénario est moins contraint que ceux impliquant de simples cycles métaboliques autocalytiques, notamment car il ne nécessite pas l'intervention précoce de catalyseurs spécifiques.
Les mécanismes évolutifs proposés permettent d'aboutir à un "organisme pionnier" possédant d'importantes structures des organismes vivants actuels et évoluant selon un mécanisme génétique.