Impact de l'abeille à miel introduite (Apis mellifera) (Hymenoptera : Apidae) sur les abeilles natives : une revue
Le but de cette revue est de mettre en relief des biais méthodologiques constatés dans les études questionnant l'existence de compétition entre des abeilles domestiques et sauvages. Elle s'appuie sur 28 études, cherchant prioritairement des effets de l'abeille mellifère en tant qu'espèce introduite (en Australie, Amériques, Japon, Inde) sur des abeilles natives.
Notion de compétition
Les auteurs ne considèrent pas ici la compétition comme une simple interaction négative entre populations, par exemple qui se contenterait de changer le comportement des abeilles sauvages. Pour eux, la compétition implique un effet négatif sur la valeur sélective individuelle et donc une menace à long terme de la survie de la population.
Pour cette raison, les auteurs critiquent le fait que la plupart des études ne mesurent que des traits indirects :
Ces traits ne permettent pas de montrer que la fitness des espèces étudiées est diminuée, mais seulement de faire l'hypothèse d'un impact potentiel de l'abeille domestique.
Pour conclure à une compétition, il faudrait quantifier des traits directement liés :
(voir Fig.1)
Mesures indirectes
Mesures directes
Sur les 28 études, seules 9 ont mesuré des traits tels que la fécondité, la survie ou la densité de population, et la plupart ont peu de preuves d'un impact de l'apiculture.
Parmi celles-ci, 3 étaient conduites en Europe, l'aire d'origine d'Apis mellifera. L'une d'elle (Evertz 1995) trouve un succès reproducteur plus élevé de Megachile rotundata dans les sites sans ruches qu'avec, mais avec peu de réplicats et d'autres facteurs possibles. Les deux autres (Pechhacker et Zeillinger 1994 ; Steffan-Dewebter et Tscharntke 2000) ne détectent pas d'effet. Les auteurs n'en sont pas surpris car l'évolution de l'abeille domestique avec les autres espèces natives européennes aurait permis de réduire le recouvrement de niche .
Conclusion
Les études analysées et revues ici ne permettent finalement pas de conclure si les abeilles domestiques constituent une réelle menace pour les abeilles natives.
En plus des remarques précédentes, les auteurs recommandent de privilégier dans les protocoles des approches comparant des différences entre une situation contrôle et une situation impact ou encore entre une situation avant et après introduction d'abeilles domestiques.
Cette revue paraît rigoureuse. La définition de la compétition donnée par les auteurs peut être considérée comme assez restreinte (puisqu'elle ne comprend pas par exemple un changement de comportement qui serait induit par l'espèce domestique) mais logique dans un cadre de conservation de la biodiversité : la mise en danger réelle ou non des populations sauvages. De plus, la définition est ainsi clairement explicitée.
Les auteurs n'évoquent que peu l'aspect temporel des expériences : une étude s'étant déroulé sur une seule saison leur paraît-elle suffisante ?
De même, une étude est considérée par les auteurs comme manquant de réplicats si elle est réalisée sur 2 sites ou moins. Mais une étude comportant 3 ou 4 sites est-elle pour autant suffisamment robuste pour soutenir une conclusion ?
Le cadre géographique est globalement hors du balisage défini pour cette controverse, cependant, les biais soulignés dans cette revue peuvent donner un cadre de lecture des expériences visant à tester la compétition entre abeilles mellifères et sauvages, quelle que soit la localisation géographique.
Elle souligne que des mesures indirectes (utilisation de ressources) ne suffisent pas à conclure à une compétition mettant en danger les populations d'abeilles sauvages : une mesure fiable devrait comprendre une estimation de survie et/ou fécondité individuelles, et/ou de densité de population.
De plus, nombre d'études manquent de réplicats et/ou négligent des facteurs confondants, donnant des résultats contradictoires selon la mesure, les sites et/ou la période.
Enfin, sur les 3 études européennes analysant des mesures directes de cette review, une (criticable sur la réplication et les facteurs confondants) constate un effet et les 2 autres ne trouvent pas d'impact.
À noter que la review datant de 2004, on peut espérer que les articles plus récents à ce sujet aient tenu compte de ces conseils ou les discutent. Cela constitue donc un bon point de départ pour cette controverse.