Titre de la review :

Impact de l'abeille à miel introduite (Apis mellifera) (Hymenoptera : Apidae) sur les abeilles natives : une revue


Figure :

Fig1 de l'article de Paini 2004 :
[les symboles colorés ont été ajoutés a posteriori]

Pour déterminer si la compétition survient entre les abeilles domestiques et natives, les chercheurs ont évalué un certain nombre de mesures (1-4). Cependant, les mesures 1 à 3 [ellipses bleues] peuvent résulter aussi bien en une absence d'impact qu'à un impact négatif sur les abeilles natives. Seules les mesures 4a à 4c [rectangles rouges] peuvent définitivement mener à conclure à un impact négatif de l'abeille domestique sur les abeilles natives.

Résumé de la review :

Le but de cette revue est de mettre en relief des biais méthodologiques constatés dans les études questionnant l'existence de compétition entre des abeilles domestiques et sauvages. Elle s'appuie sur 28 études, cherchant prioritairement des effets de l'abeille mellifère en tant qu'espèce introduite (en Australie, Amériques, Japon, Inde) sur des abeilles natives.

Notion de compétition
Les auteurs ne considèrent pas ici la compétition comme une simple interaction négative entre populations, par exemple qui se contenterait de changer le comportement des abeilles sauvages. Pour eux, la compétition implique un effet négatif sur la valeur sélective individuelle et donc une menace à long terme de la survie de la population.

Pour cette raison, les auteurs critiquent le fait que la plupart des études ne mesurent que des traits indirects :

  • le chevauchement des ressources florales, et/ou
  • un nombre diminué de visites de fleurs par les abeilles natives et/ou
  • une récolte réduite des ressources.

Ces traits ne permettent pas de montrer que la fitness des espèces étudiées est diminuée, mais seulement de faire l'hypothèse d'un impact potentiel de l'abeille domestique.

Pour conclure à une compétition, il faudrait quantifier des traits directement liés :

  • soit à la valeur sélective individuelle : une survie et/ou une fécondité réduite(s)
  • soit à la démographie de la population elle-même, en constatant son déclin ou son extinction.

(voir Fig.1)

Mesures indirectes

  • La réplication est souvent insuffisante : le nombre de sites analysés est souvent trop faible (moins de 2 sites pour 19 études sur 28 = 68%)
  • Des facteurs confondants compromettent l'interprétation (3 études sur 28 = 11%) : des hypothèses alternatives sont négligées, telles que la température, des activités humaines ou des différences d'habitat pouvant expliquer un déclin d'espèces sauvages indépendamment de la présence de l'abeille domestique.
  • L'interprétation des résultats peut être biaisée : parfois, des auteurs concluent à une exclusion des abeilles natives par l'abeille domestique alors même que leurs résultats sont contradictoires ou ambigus (1 étude sur 28). Dans 4 études sur 28 (14%) les auteurs reconnaissent eux-mêmes que leurs résultats ne permettent pas de conclure, à cause de facteurs confondants (augmentation de la masse florale permettant d'éviter la compétition, parcelles de tailles différentes).
  • La compétition par interférence : la seule mesure du taux de visite des fleurs inclut aussi bien la compétition par exploitation que la compétition par interférence. Les abeilles mellifères peuvent causer un déplacement des abeilles natives par des agressions physiques.
  • L'absence d'impact : 3 études sur 28 échouent à trouver un effet des abeilles domestiques sur le taux de visites des abeilles natives.

Mesures directes
Sur les 28 études, seules 9 ont mesuré des traits tels que la fécondité, la survie ou la densité de population, et la plupart ont peu de preuves d'un impact de l'apiculture.
Parmi celles-ci, 3 étaient conduites en Europe, l'aire d'origine d'Apis mellifera. L'une d'elle (Evertz 1995) trouve un succès reproducteur plus élevé de Megachile rotundata dans les sites sans ruches qu'avec, mais avec peu de réplicats et d'autres facteurs possibles. Les deux autres (Pechhacker et Zeillinger 1994 ; Steffan-Dewebter et Tscharntke 2000) ne détectent pas d'effet. Les auteurs n'en sont pas surpris car l'évolution de l'abeille domestique avec les autres espèces natives européennes aurait permis de réduire le recouvrement de niche .

Conclusion
Les études analysées et revues ici ne permettent finalement pas de conclure si les abeilles domestiques constituent une réelle menace pour les abeilles natives.
En plus des remarques précédentes, les auteurs recommandent de privilégier dans les protocoles des approches comparant des différences entre une situation contrôle et une situation impact ou encore entre une situation avant et après introduction d'abeilles domestiques.

Rigueur de la review :

Cette revue paraît rigoureuse. La définition de la compétition donnée par les auteurs peut être considérée comme assez restreinte (puisqu'elle ne comprend pas par exemple un changement de comportement qui serait induit par l'espèce domestique) mais logique dans un cadre de conservation de la biodiversité : la mise en danger réelle ou non des populations sauvages. De plus, la définition est ainsi clairement explicitée.

Les auteurs n'évoquent que peu l'aspect temporel des expériences : une étude s'étant déroulé sur une seule saison leur paraît-elle suffisante ?
De même, une étude est considérée par les auteurs comme manquant de réplicats si elle est réalisée sur 2 sites ou moins. Mais une étude comportant 3 ou 4 sites est-elle pour autant suffisamment robuste pour soutenir une conclusion ?

Ce que cette review apporte au débat :

Le cadre géographique est globalement hors du balisage défini pour cette controverse, cependant, les biais soulignés dans cette revue peuvent donner un cadre de lecture des expériences visant à tester la compétition entre abeilles mellifères et sauvages, quelle que soit la localisation géographique.

Elle souligne que des mesures indirectes (utilisation de ressources) ne suffisent pas à conclure à une compétition mettant en danger les populations d'abeilles sauvages : une mesure fiable devrait comprendre une estimation de survie et/ou fécondité individuelles, et/ou de densité de population.
De plus, nombre d'études manquent de réplicats et/ou négligent des facteurs confondants, donnant des résultats contradictoires selon la mesure, les sites et/ou la période.

Enfin, sur les 3 études européennes analysant des mesures directes de cette review, une (criticable sur la réplication et les facteurs confondants) constate un effet et les 2 autres ne trouvent pas d'impact.

Remarques sur la review :

À noter que la review datant de 2004, on peut espérer que les articles plus récents à ce sujet aient tenu compte de ces conseils ou les discutent. Cela constitue donc un bon point de départ pour cette controverse.

Publiée il y a environ 7 ans par M. Annonier et J. Maugoust.
Dernière modification il y a presque 7 ans.