L'aquaculture et la compensation des captures de pêche
La croissance du secteur de l'aquaculture est associée en partie à la stagnation des captures des stocks de poissons sauvages et à la demande croissante en protéines de la mer. L'aquaculture est souvent considérée comme solution au problème de la surpêche, dans la mesure où elle peut réduire la pression de pêche sur ces stocks sauvages. Ainsi, il est supposé que l'aquaculture joue un rôle important en fournissant des protéines, en améliorant la sécurité alimentaire mondiale, et en réduisant les pressions de la pêche.
Une question demeure cependant ouverte : l'aquaculture compense-t-elle vraiment les prises de pêche ? Pour cela, il faudrait estimer si oui ou non l'aquaculture permet de compenser les prises de pêche sous forme d'un "déplacement" ou "glissement" des captures d'une pratique à l'autre. C'est à cette question que souhaite répondre cette étude empirique.
Les auteurs ont analysé des données de pêches et d'aquaculture en kg produits des années 1970 à 2014. Plusieurs variables ont été prises en compte afin de contrôler pour la demande en captures : PIB de chaque nation pour laquelle des informations de captures étaient disponibles, ratio d'âge (population de 0-14 ans sur population de 15-64 ans).
Les auteurs ont construit neuf modèles (incluant 140 à 173 pays) de régression des kg de captures de pêche par habitant sur les kg de production aquacole par habitant au cours du temps, comprenant ou non les différentes variables.
A la sortie des modèles, on obtient un coefficient de production d'aquaculture. Si celui-ci est égal à -1, une prise d'aquaculture remplace totalement une prise de pêche. Entre -1 et 0, cette compension n'est pas de 1 pour 1 mais est tout de même présente. Si le coefficient est supérieur à 0, l'aquaculture induit une accumulation des prises, s'ajoutant à celles de la pêche.
Sur les neuf modèles, seulement un indique une suppression significative des captures de pêche du fait d'une compensation par l'aquaculture. Ces résultats suggèrent que la production aquacole mondiale ne remplace pas significativement les captures de la pêche ; au contraire, l'aquaculture s'ajoute aux captures de pêche déjà existantes.
Les premiers modèles implémentés comportaient de nombreux biais statistiques (outliers pour des pays avec une très faible ou une très forte demande qui faisaient levier sur les régressions, distribution non normale des résidus...) qui ont été corrigés ensuite ce qui témoigne d'une vigilance statistique et d'une fiabilité des modèles finaux.
L'article est essentiel car il démontre que les deux pratiques se superposent et peuvent augmenter in fine les captures totales sur les stocks exploités. Il montre également que l'augmentation de la production et la promotion des produits de l'aquaculture peuvent également encourager la consommation de poisson en général, ce qui est un point clé dans la controverse. Dans ce sens, cette étude indique que l'aquaculture n'est pas une solution compensant les impacts négatifs sur les stocks sauvages du fait de la surpêche.
Ces résultats nous poussent cependant à nous poser la question suivante : attendons-nous vraiment de l’aquaculture qu'elle remplace la pêche, et qu'elle alimente la population mondiale uniquement de poissons (et autres animaux marins d'élevage) cultivés/domestiqués et ainsi séparer l’Homme et la mer sauvage ? Quelles seraient les conséquences d'une telle configuration?