Compétition entre abeilles mellifères et abeilles sauvages et rôle des ressources pour les nids dans une réserve naturelle
Les études questionnant une possible compétition de l'abeille domestique sur les abeilles sont généralement centrées sur les cas où elle est introduite hors de son aire de répartition originelle, l’Europe (Steffan-Dewetter-Tscharntke 2000) .
Ici, les auteurs se sont intéressés à l’effet que peut avoir l’implantation de ruches de l’abeille domestique (Apis mellifera) sur les pollinisateurs sauvages dans une réserve naturelle au nord de l’Allemagne (Lüneburg Heath) un milieu de landes de bruyère Calluna vulgaris.
Deux aspects sont étudiés : les taux de visites de fleurs et la reproduction par les abeilles sauvages. La distinction est faite entre les formes terricoles, nichant dans le sol, et les lignicoles, nichant dans des tiges creuses ou du bois.
Hypothèses testées :
À mesure que l'on s'approche d'une ruche, les abeilles sauvages :
produisent moins de nids.
La qualité et la proximité de ressources permettant de nicher affecte le nombre de nids.
L'étude est réalisée durant la période de floraison de la bruyère.
La proportion de type d’habitat (bois, champs, prairie) autour des sites a été estimée.
Reproduction
Pour les abeilles terricoles, 10 sites distincts ont été sélectionnés à différentes distances de ruches (entre 100m et 1,2 km). Les nids ont été comptés chaque semaine le long de 2 transects (N-S et O-E) de 5 à 20m, dans 4 parcelles/site.
Pour les abeilles lignicoles, 9 sites comprenaient 4 nichoirs régulièrement espacés : selon un gradient de distance à une ruche (à 5, 50, 100 et 150m) sur 5 sites, en absence de ruche pour les 4 autres sites. Toutes les 4 à 6 semaines, les tiges occupées par des nids sont remplacées, et récoltées pour identifier les espèces après émergence.
Butinage
Les visites sur fleurs de bruyère ont été comptées pour chaque espèce d'abeille dans un quadrat de 80x80 cm, durant 10 minutes/jour à 5 reprises pour les sites à abeilles terricoles, et 5 min/jour à 6 reprises pour les sites à nichoirs.
Reproduction
Le nombre de nids d'abeilles terricoles (8 espèces) n'est pas affecté par la distance à une ruche ni par le type d'habitat, mais par la température, l'humidité, la pente et le couvert floral.
Le nombre d'espèces lignicoles dans les nichoirs est significativement plus faible en présence de ruches, mais ni l'indice de Shannon ni le nombre de nids n'en sont affectés. La présence d'un habitat boisé à proximité influence de manière importante le nombre de nids des lignicoles.
Butinage
Seules 4 espèces d'abeilles sauvages ont été observées : Andrena fuscipes, Colletes succintus , Epeolus cruciger et Sphecodes reticulatous.
Les sites avec ruches présentent significativement moins de visites de fleurs par les abeilles sauvages que les sites sans ruches.
Cependant, dans les sites à ruches, le nombre de visites par les abeilles sauvages n'est pas affecté par la distance à la ruche, et il ne diminue pas lorsque le nombre de visites par l'abeille domestique augmente.
L'étude semble faire un effort d'échantillonnage conséquent et prend en compte de nombreux paramètres dans les analyses, avec un certain nombre de facteurs habituellement confondants qui sont ici identifiables à l'aide de l'acquisition de données supplémentaires sur l'environnement (type d'habitats alentours, couvert floral, température et humidité du sol, pente du terrain).
Une mesure du succès reproducteur est proposée, ce qui correspond aux recommandations méthodologiques de Paini 2004 pour détecter si une réelle compétition existe entre abeille domestique et abeilles sauvages. Les auteurs nuancent d'eux-mêmes qu'ils ne peuvent conclure cependant quant au succès reproducteur car il pourrait y avoir des effets spécifiques par espèce qui n'ont pu être mesurés.
Cette étude met en évidence que la présence de ruches d'abeilles domestiques, dans une réserve naturelle en Allemagne (donc dans l'aire originelle de l'abeille domestique), influence négativement la richesse d'abeilles sauvages sur les visites de fleurs.
Une estimation du succès reproducteur ne trouve pas d'effets des abeilles domestiques sur le nombre de nids d'espèces solitaires terricoles (sans que l'identification n'ait pu être effectuée au niveau spécifique), davantage affectée par des variables environnementales (température douce, sol sec, avec une certaine orientation de pente).
Une diminution de la richesse spécifique dans les tiges accueillant les pontes abeilles lignicoles est observée en présence de ruches sans effet de la distance (pas de différences dans un gradient entre 5 et 150m des ruches), sans que le nombre de nids créés n'en soit cependant affecté. La présence de milieux boisés influence fortement le nombre de nids d'espèces lignicoles.
La reproduction des abeilles terricoles n'a pas pu être estimée par espèce.
La méthodologie pour les abeilles lignicoles est pratique pour estimer de manière sûre l'occupation des nichoirs et par quelles espèces. On peut cependant se demander si le passage au laboratoire n'influencerait pas le succès d'émergence.
Cette étude ne se déroule que sur un été, il est possible que les résultats soient variables selon les années, comme cela a pu s'observer par exemple dans Shavit et al. 2009.
Les auteurs expliquent qu'il est connu que les bourdons évitent les fleurs déjà visitées par les abeilles mellifères (Stout et Goulson 2001), probablement à cause d'une odeur déplaisante pouvant être détectée par des individus d'espèces différentes (Giurfa et Nùnez 1992). Ils se demandent si cela ne pourrait pas être le cas pour les autres abeilles sauvages (ce qui pourrait expliquer leurs visites moins fréquentes en présence de ruches), car cela n'a pas encore été clairement démontré.
The European honey bee exploits floral resources efficiently and may therefore compete with solitary wild bees. Hence, conservationists and bee keepers are debating about the consequences of beekeeping for the conservation of wild bees in nature reserves. We observed flower-visiting bees on flowers of Calluna vulgaris in sites differing in the distance to the next honey-bee hive and in sites with hives present and absent in the Lüneburger Heath, Germany. Additionally, we counted wild bee ground nests in sites that differ in their distance to the next hive and wild bee stem nests and stem-nesting bee species in sites with hives present and absent. We did not observe fewer honey bees or higher wild bee flower visits in sites with different distances to the next hive (up to 1,229 m). However, wild bees visited fewer flowers and honey bee visits increased in sites containing honey-bee hives and in sites containing honey-bee hives we found fewer stem-nesting bee species. The reproductive success, measured as number of nests, was not affected by distance to honey-bee hives or their presence but by availability and characteristics of nesting resources. Our results suggest that bee-keeping in the Lüneburg Heath can affect the conservation of stem-nesting bee species richness but not the overall reproduction either of stem-nesting or of ground-nesting bees. Future experiments need control sites with larger distances than 500 m to hives. Until more information is available, conservation efforts should forgo to enhance honey bee stocking rates but enhance the availability of nesting resources.