Preuve de compétition entre les abeilles mellifères et les bourdons ; effets sur la taille des ouvriers de bourdon
Les abeilles mellifères (Apis mellifera) sont probablement natives d'Afrique et d'Eurasie (Michener 1974) et ont certainement été domestiquées il y a au moins 4 000 ans (Crane 1990a). Selon les auteurs, il est peu probable qu'elles aient été capables de survivre sans intervention humaine en Europe du Nord, où les bourdons (Bombus sp.) sont parmi les pollinisateurs naturels les plus abondants. Les auteurs citent Walter-Hellwig et al. 2006, qui auraient mis en évidence en Europe un décalage temporel du butinage des bourdons au cours de la journée, et que ceux-ci se détourneraient de leurs plantes favorites en présence d'abeilles domestiques.
Ainsi, indépendamment de savoir si cette abeille est native d'Europe du Nord ou non, cette étude se propose d'évaluer si la présence de ruches d'abeilles domestiques a un effet négatif sur les bourdons en Écosse, en évaluant la taille des ouvriers comme un indicateur de la ressource disponible durant le stade larvaire.
L'étude s'est déroulée sur 20 sites (10 avec ruches et 10 sans) de pâturages ou terres arables, tirés aléatoirement parmi une grille de 100 sites espacés de 4 km chacun, au Nord-Est de l'Écosse. Pour minimiser l'effet des variations saisonnières sur la taille, les visites se sont faites dans un laps de temps le plus court possible entre le 1er et le 22 août.
Des ouvriers de bourdons de 4 espèces ont été capturés dans un rayon de 100 m sur chacun des 20 sites (Bombus lapidarius, B. pascuorum, B. terrestris et B. lucorum) puis tués par gel (277 capturés dans les sites à ruches et 261 sans ruches). La largeur du thorax (LT) est mesurée car elle est proportionnelle à la taille totale du corps, alors qu'une mesure de la masse serait fortement influencée par le contenu stomacal.
Deux modèles linéaires généralisés (GLM) ont été réalisés avec la LT comme variable dépendante, et comme facteurs explicatifs (1) la présence de ruches seule ou (2) avec, en plus, la fleur visitée par l'insecte et le site.
La taille des bourdons varie significativement selon l'espèce de bourdon, et sans lien avec l'espèce de fleur visitée.
Pour les 4 espèces de bourdons, les ouvriers capturés sur des sites en présence d'abeilles domestiques présentaient des thorax moyens significativement plus petits que les bourdons des sites exempts de ruches. (voir Fig. 1)
La diminution de LT des bourdons en présence d'abeilles est similaire quelle que soit l'espèce de bourdon considérée.
Les ouvriers qui collectent pollen et nectar sont normalement les plus gros de la colonie, donc ce résultat peut s'expliquer si :
La réduction de taille des bourdons en présence de ruches peut alors être considérée comme une conséquence directe de compétition avec les abeilles.
Les auteurs considèrent apporter une mesure directe de l'effet des abeilles domestiques sur la population de pollinisateurs sauvages avec cette approximation de la taille des individus comme indicatrice de la bonne santé des colonies de bourdons. Elle semble en effet plus informative que les mesures indirectes habituellement réalisées dans les autres études (taux de visites de fleurs) et les auteurs ont explicitement suivi les recommandations de Paini 2004 pour ce point.
Leur étude porte cependant sur une seule saison .
Ici le nombre de sites similaires (10 avec et 10 sans ruches) semble assez conséquent pour porter de l'information, et l'inclusion d'un effet "sites" dans le modèle ne modifiait pas les résultats.
En constatant que les bourdons capturés sur des sites avec abeilles mellifères sont plus petits que ceux de sites en l'absence de ruches, les auteurs estiment apporter une preuve directe de compétition entre abeilles domestiques et bourdons (les 4 espèces étudiées étant affectées de la même manière), à l'échelle populationnelle.
En effet, une taille réduite des ouvriers est probablement due au fait qu'ils n'ont pas été assez nourris pendant leur stade larvaire. Il en résulte que ces ouvriers sont moins aptes à collecter des ressources par temps froid, et ne peuvent qu'en porter de faibles quantités par voyage. La quantité de pollen et de nectar disponible pour la colonie est alors réduite, diminuant les chances de survie de la population.
(À noter que les auteurs ne se soucient pas de trancher si l'Écosse fait partie ou non de l'aire de répartition originelle de l'abeille domestique : elle pourrait y avoir été introduite par l'Homme.)