Comment le tourisme basé sur la nature pourrait augmenter la vulnérabilité des proies face aux prédateurs
Comment le tourisme basé sur la nature pourrait affecter le comportement de la faune sauvage?
L'écotourisme et le tourisme basé sur la nature sont devenus des activités de loisirs très populaires qui constituent un secteur économique brassant plusieurs millions de dollars par an. Les interactions entre la faune et les humains modifient le comportement des animaux, même si le bien-être de ces derniers est pris en compte. Les individus de nombreuses espèces subissent un processus d'habituation menant à un certain degré de tolérance. Les gestionnaires des réserves pourraient même habituer exprès les animaux afin de faciliter leur observation par les touristes, comme c'est le cas pour les chimpanzés du parc national Kibale en Ouganda. Il a aussi été montré que l'apport de nourriture par des humains mène à une anticipation de ces distributions ce qui peut augmenter l'agressivité entre et au sein des espèces. De plus, l’agrégation suivant l'alimentation peut aussi modifier la structure des communautés en affectant la distribution des espèces, la diversité et la richesse biologique. L'augmentation de la tolérance humaine altère aussi des traits liés à la valeur sélective comme la reproduction ou l'approvisionnement de la progéniture.
Les animaux interagissent de 3 manières avec les humains: ils peuvent être forcés à interagir à travers un processus d'apprivoisement ce qui peut conduire à la domestication; ils peuvent se déplacer et rester sur un site où les humains sont installés (urbanisation); ils peuvent interagir passivement avec les humains à travers l'écotourisme. Bien que ces trois types d'interactions agissent à différentes échelles spatio-temporelles ( local vs paysage, éphémère vs évolutif), ils impliquent tous le même processus cognitif: l'accoutumance face au même stimulus inoffensif (les humains). Le résultat de ces interactions pourrait influencer les interactions proies-prédateurs.
Durant la domestication, les animaux deviennent apprivoisés et restent sous la protection des humains ce qui implique une baisse de la peur au niveau comportemental et physiologique. Ces animaux sont plus téméraires face aux humains et subissent un risque accru de prédation s'ils sont relâchés.
L'urbanisation en ville rend les animaux plus audacieux ou bien les animaux déjà téméraires sont attirés par la ville à cause du bouclier humain et de l'habituation. Ils subiront un risque de prédation plus élevé si les prédateurs entrent dans la ville. Hors ville, l'urbanisation apporte aussi une protection humaine dans les zones rurales ce qui rend les animaux moins vigilants à la prédation.
Lorsque la faune sauvage est en contact avec des touristes, leur comportement anti-prédateur peut être affecté de deux manières non exclusives: indirectement par la création temporaire d'un bouclier humain et directement par le développement de leur témérité suite aux interactions répétées (figure).
L'écotourisme imite les processus à l'oeuvre lors de la domestication et l'urbanisation. Leur vigilance diminue ainsi que leur distance de fuite. Cela peut produire des individus plus susceptibles à la prédation lorsque les touristes sont absents, pendant la nuit ou l'hiver par exemple.
Ainsi si des individus s'habituent sélectivement à la présence humaine et si les pratiques touristiques renforcent cette habituation, des traits ayant des risques imprévus tels qu'un risque accru de prédation pourraient être sélectionnés. Même une faible perturbation humaine peut affecter le comportement ou la biologie d'une espèce, impactant ainsi la fonction de l'espèce au sein de l'écosystème. La réduction de la diversité fonctionnelle peut menacer la stabilité des écosystèmes. L'exposition humaine peut aussi réduire la variation phénotypique et la plasticité comportementale. Puisque la plasticité comportementale peut être le miroir de la diversité génétique, l'écotourisme pourrait aussi conduire à la perte de la diversité génétique.
Daniel T. Blumstein is a Professor at the University of California Los Angeles’ Department of Ecology and Evolutionary Biology and at the UCLA Institute of the Environment and Sustainability. His work involves integrated studies of animal social behavior, animal communication, and antipredator behavior, and has helped develop the field of wildlife conservation behavior. He is the author of over 350 scientific publications and has written or edited six books, including An Ecotourist’s Guide to Khunjerab National Park.
Benjamin Geffroy is a researcher at the French Research Institute for Exploitation of the Sea (Ifremer) and holds a Ph.D. in Behavioral Ecology and Physiology. After postdoctoral work in Brazil on the effects of ecotourism on fish, he joined Ifremer to explore fish reproduction and behavior. His research deciphers the various physiological and behavioral mechanisms that underlie population changes.
En comparant l'écotourisme au processus de domestication et d'urbanisation, cet article soulève le problème d'habituation de la faune sauvage au contact répété avec des humains. L'écotourisme pourrait impacter le comportement et la biologie des espèces, dont les répercussions sur les interactions biotiques se feraient ressentir sur l'équilibre de l'écosystème et de sa biodiversité. Par ailleurs la diversité génétique aussi pourrait être réduite. Au vu de ces effets, l'écotourisme pourrait être ajouté à la liste des facteurs de changements environnementaux induits par l'homme.
Ainsi en lien avec le bouclier humain temporaire, la question centrale est de déterminer si la présence temporaire des humains est suffisante pour réduire de manière permanente les capacités anti-prédation ou bien pour les réduire durant une période assez longue pour que la population soit poussée au déclin.
Et plus généralement quelles sont les réponses évolutives des animaux face à l'écotourisme?
Diogo S. M. Samia holds a Ph.D. in Ecology and Evolution and is currently a postdoctoral researcher at the University of São Paulo, Brazil, where he is investigating the evolutionary mechanisms promoting sexual dimorphism in animals. Much of his work has examined antipredator behavior and he has focused on applying knowledge of animal behavior to wildlife conservation.
Eduardo Bessa is a Zoology Professor and an advisor in the University of Brasília’s Graduate Program in Ecology. His research chiefly focuses on two main areas: understanding reproductive behavior in a range of animal models, especially fish; and applying basic behavioral knowledge to conservation and ecotourism.