Douleur et souffrance chez les Invertébrés ?
Dans cette review, Elwood examine si certains Invertébrés peuvent percevoir la douleur ou non. Il traite de la difficulté à définir clairement "nociception" et "douleur" du fait que ces deux notions sont souvent confondues dans divers articles scientifiques. Elwood les dissocient à l'aide de définitions établies dans la littérature : la nociception un processus neuronal permettant de détecter, traiter et réagir aux stimuli affectant l'intégrité de l'organisme. La douleur est une expérience désagréable physiquement et émotionnellement causée par une blessure et provoquant l’évitement des sources nocives pouvant la recréer. La nociception est donc une réaction réflexe tandis que la douleur induit des effets à long terme : ces deux notions ont donc très probablement été sélectionnées au cours de l'évolution chez différents taxa. Néanmoins, il est possible que la capacité à percevoir la douleur a pu évoluer différemment selon les taxa, notamment entre les Vertébrés et les Invertébrés si ces derniers sont bien capables de traiter cette information. Afin de conduire sa réflexion, Elwood a étudié plusieurs critères utilisés dans la littérature permettant d'identifier la douleur chez les animaux.
Il observe d'une part la présence de récepteurs appropriés pour percevoir et traiter l'information reçu suite aux stimuli. Ce critère est peu pertinent car, même si différents taxa Invertébrés en ont et que ces mécanismes semblent être issus de processus adaptatifs conservés dans certains phyla, ils ne peuvent que confirmer la nociception.
D'autre part, il discute de la présence d'un système nerveux central capable d'interpréter l'information. Différents articles soutiennent l'incapacité pour des Invertébrés de traiter la douleur par l'absence de structure cérébrale complexe ou de part leur petit cerveau. Or, des études ont montré que la morphologie du cerveau n'impactait pas la possibilité de retrouver des fonctions similaires. De plus, certains Invertébrés (e.g. Céphalopodes) disposent d'un cerveau complexe. Ces éléments ne permettent pas de déterminer avec certitude s'ils peuvent traiter la douleur.
Ensuite est étudiée la réceptivité aux anesthésiants : il a été montré que la sensibilité aux stimuli chez des Décapodes traités avec un anesthésiant diminuait contrairement à des individus non traités. Néanmoins, ces produits semblent réduire la réaction face à tout stimuli et perturbent la nociception : il est donc compliqué d'en déduire la perception potentielle de la douleur.
L'apprentissage par évitement est aussi étudié : différentes études réalisées sur des Arthropodes montrent une altération du comportement par évitement de lieu ou d'objets associés à un stimulus nocif, indiquant la mémorisation et l'esquive d'une expérience liée à de la douleur. Ce critère est lié à une conscience élevée des actions par ces taxa, ce qui ne prouve pas nécessairement qu'ils ressentent de la douleur, mais ces capacités sont utiles pour dissocier les situations nocives des autres. Ces deux aspects ont dû évoluer ensembles.
Des réactions de protection ont été observées suite à des traitements, comme chez certains Crustacés frottant leur appendice blessé voire réalisant une autotomie afin de stopper la perte d'hémolymphe.
Enfin, le compromis entre l'évitement des stimuli nocifs et d'autres activités est étudié : chez certaines pieuvres, une approche moins efficace pour chasser a été sélectionnée afin de diminuer les dégâts causés par des anémones cachant leurs proies. Ces comportements laissent à penser une adaptation en lien avec l'évitement de la douleur sur le long terme.
Au final, Elwood constate que les critères comportementaux sont les plus pertinents dans l'identification de la douleur chez les Invertébrés : ces critères ont confirmé que certains Invertébrés (Crustacés, Mollusques) expérimentent la douleur. Il suggère de nouvelles pistes d'expériences comportementales et physiologiques pour combler le manque de données sur le sujet.
Cette review traite de la difficulté de distinguer nociception et douleur, à la fois sémantiquement et biologiquement, ainsi que des débats scientifiques sur la pertinence des critères utilisés pour identifier la douleur chez des Invertébrés. Elwood présente les différents points de vue de façon objective en se basant sur les expériences réalisées qui parfois se contredisent ou apportent des conclusions différentes, montrant les différents aspects de cette controverse.
All animals face hazards that cause tissue damage and most have nociceptive reflex responses that protect them from such damage. However, some taxa have also evolved the capacity for pain experience, presumably to enhance longterm protection through behavior modification based on memory of the unpleasant nature of pain. In this article I review various criteria that might distinguish nociception from pain. Because nociceptors are so taxonomically widespread, simply demonstrating their presence is not sufficient. Furthermore, investigation of the central nervous system provides limited clues about the potential to experience pain. Opioids and other analgesics might indicate a central modulation of responses but often peripheral effects could explain the analgesia ; thus reduction of responses by analgesics and opioids does not allow clear discrimination between nociception and pain. Physiological changes in response to noxious stimuli or the threat of a noxious stimulus might prove useful but, to date, application to invertebrates is limited. Behavior of the organism provides the greatest insights. Rapid avoidance learning and prolonged memory indicate central processing rather than simple reflex and are consistent with the experience of pain. Complex, prolonged grooming or rubbing may demonstrate an awareness of the specific site of stimulus application. Tradeoffs with other motivational systems indicate central processing, and an ability to use complex information suggests sufficient cognitive ability for the animal to have a fitness benefit from a pain experience. Available data are consistent with the idea of pain in some invertebrates and go beyond the idea of just nociception but are not definitive. In the absence of conclusive data, more humane care for invertebrates is suggested.