Introduction :

De nombreuses données archéologiques et paléoanthropologiques ont conduit à l’établissement d’un consensus scientifique selon lequel le genre Homo serait originaire d’Afrique. De par leurs modes de vie nomades et en raison de contraintes environnementales, différentes espèces se seraient alors dispersées à travers la planète. L’Homme moderne, Homo sapiens, serait sorti d’Afrique il y a près de 100 000 ans et serait le premier représentant de son genre à avoir colonisé le continent Américain, après s’être d’abord répandu sur tous les autres continents.

Alors que l’origine Africaine du genre Homo fait aujourd’hui consensus dans la communauté scientifique, les époques et voies de migrations qui ont conduit à l’aire de répartition mondiale du genre Homo et aujourd’hui de l’Homme moderne Homo sapiens restent très débattues. Le peuplement de l’Amérique, dernière grande migration de l’Homme moderne, est toujours fortement controversé. Depuis le vingtième siècle, des travaux évoquent des résultats et des scénarii multiples et parfois contradictoires qui présagent un processus de migration complexe.

Quelle est donc l’origine des premiers américains ? Quand et comment ont-ils peuplé ce continent ?

Dans les années 1930 des sites archéologiques sont découverts en Amérique du Nord, datés entre 11 000 et 14 000 ans, ceux-ci sont caractérisés par la présence d’outils de chasse (flèches, lances). Ces premiers peuplements humains sont identifiés comme de culture Clovis, du nom du premier site où de tels outils ont été découverts. Il est alors intuitivement proposé et admis par la communauté scientifique de l’époque que ces peuples sont arrivés en Amérique du Nord par l’isthme de Béring, pont terrestre entre la Sibérie et l’Alaska, accessible durant certaines périodes de glaciation.

Une origine australasienne ?

Quelques années plus tard, Paul Rivet, un ethnologue américain travaillant alors en Amérique du Sud, publie en 1943 Les Origines de l’Homme Américain. Des données anthropologiques et linguistiques indiquent selon lui que certaines ethnies d’Amérique du Sud notamment amazoniennes auraient des origines asiatiques et océaniennes. Il évoque des migrations en provenance d’Australie et de Mélanésie il y a de cela 6000 ans. Ces migrations par voies maritimes auraient été permises par un climat plus doux sur les côtes Antarctiques, une bande non glacée étant ainsi dégagée. Faute de preuve archéologique, génétique ou morphologique concrète, cette hypothèse est peu considérée par la communauté scientifique bien qu’elle demeure enseignée dans les établissements scolaires chiliens comme une migration potentiellement complémentaire à un peuplement du Nord par la Béringie.

Grâce à l’apport récent de la génétique, ce n’est qu’en 2015 qu’est démontrée une ascendance commune entre des ethnies d’Amérique du Sud et des groupes d’Australie et d’Asie du Sud. Cette ascendance n’est pas partagée avec des groupes d’Amérique du Nord associés à la culture Clovis. [1] Des migrations auraient donc conduit au peuplement d’une partie de l’Amérique du Sud depuis l’Asie et l’Océanie. Le flux de gènes observé n’étant pas partagé avec les populations d’Amérique du Nord, il semblerait que la colonisation de l’Amérique par Homo sapiens soit le résultat d’un processus de double migration : un peuplement du Sud par l’Asie et l’Océanie et un peuplement du Nord par le détroit de Béring.
Certains travaux basés sur des analyses génétiques avancent qu’une partie de la population ayant migré à travers la Béringie serait originaire du Nord de l’Asie, et que seraient survenus plus tardivement des flux de gènes avec le Nord de la Chine [2].

Une origine européenne ?

La découverte de fortes similarités culturelles et technologiques entre des sites archéologiques de culture Clovis et des cultures européennes solutréennes a amené à considérer un éventuel lien entre ces populations. En 2004, Bradley et Stanford estiment que ces ressemblances sont trop importantes pour n’être que le résultat d’une convergence technologique : ils proposent une hypothèse selon laquelle la culture solutréenne (24 000 à 18 500 ans avant aujourd’hui) serait à l’origine de la culture Clovis (datant d’il y a 13 000 à 12 600 ans). L’hypothèse largement admise d’un peuplement de l’Amérique du Nord par la Béringie est ainsi contestée au profit de migrations qui seraient survenues entre l’Europe et l’Amérique de par les glaces de l’Atlantique Nord.
Dans les conditions climatiques des ères glaciaires, une migration par l’Atlantique Nord semble peu probable à la communauté scientifique de l’époque. Jusqu’à 6000 ans sépareraient les cultures solutréenne et Clovis. En l’absence de véritables données archéologiques intermédiaires aux deux cultures, d’études approfondies des arts rupestres, cultures et outils technologiques et de données génétiques confirmant cette origine européenne de la culture Clovis, il semble plus raisonnable de maintenir l’hypothèse d’une origine sibérienne [3]. La génétique d’un nourrisson mâle (Anzick-1) trouvé dans une sépulture Clovis présentant les outils évoqués par Bradley et Stanford est analysée et indique une origine sibérienne de celui-ci [4].
Les travaux de Bradley et Stanford sont rapidement rejetés et écartés par la communauté scientifique. Faute de preuve génétique et culturelle viable, la similarité technologique entre cultures solutréenne et Clovis est reconnue comme résultant d’un processus de convergence technologique. L’hypothèse d’un peuplement de l’Amérique du Nord par la Béringie est alors admise comme étant la plus probable.
La présence de marqueurs génétiques européens dans certains des premiers peuplements américains [5] [2] [6] indique cependant que des flux de gènes ou des migrations secondaires sont envisageables.

Quand et comment les premiers américains ont-ils franchi ce détroit ?

En parallèle des débats sur d’éventuelles origines européennes, asiatiques ou océaniennes, c’est dans les années 1980 et 1990 que la combinaison d’approches multiples a permis de renforcer l’hypothèse d’une origine sibérienne des premiers peuplements humains en Amérique du Nord. L’essor de méthodes génétiques a permis de préciser l’origine et les voies de migrations des premiers américains.
L’origine sibérienne de certains groupes est confirmée par de premières analyses génétiques humaines [7], puis par celles des chiens ayant suivis ces mêmes groupes [8]. L’analyse de la diversité génétique observée en Amérique du Nord, corrélée à des données archéologiques et linguistiques, permet de proposer un premier scénario de peuplement de l’Amérique du Nord :
Une principale migration serait survenue entre 20 et 25 000 ans avant aujourd'hui, de la Sibérie à l'Amérique du Nord par la Béringie, suivie d'une seconde phase plus récente entre 13 000 et 11 300 ans de migration interne à l'Amérique. La diversité génétique aujourd'hui observable chez certains groupes ethniques (Eskimo, Da-nene) serait explicable par des migrations et flux de gènes intracontinentaux liés au contexte climatique (périodes glaciaires). [9] [10]
Des études basées sur des données paléo-environnementales ont permis d’estimer la viabilité de différentes voies migratoires et soutiennent ce scénario. En pleine ère glaciaire, l’Amérique du Nord n’était pas franchissable il y a 14 000 ans. Compte tenu de la datation des données archéologiques, des migrations auraient donc eu lieux avant cette période. Puis l’ouverture, il y a près de 12 000 ans, d’un corridor entre deux calottes glaciaires aurait permis une seconde phase de migration vers le Sud, mais également des flux de gènes entre les populations du Sud et celles du Nord, alors réunies par cette voie migratoire viable. [11] [5]

La rapidité de ces phases de migrations est également débattue. L’accumulation de mutations dans les premières lignées d’Amérique du Nord, les distinguant de leurs lignées sœurs eurasiatiques, indiquent un stationnement long des populations en Béringie avant qu’elles ne migrent. La répartition homogène de certains haplotypes au sein des populations américaines supporte l’hypothèse de migrations rapides en Amérique qui seraient survenues dès lors que des voies de migration viables furent accessibles [10]. L’étude de la divergence génétique de populations américaines indique également un stationnement durant près de 8000 ans en Béringie suivi d’une migration rapide en Amérique et de la division entre deux branches génétiques il y a près de 13 000 ans. [5]

Une migration côtière ?

Après les travaux de Kieran Westley et Justin Dix publiés en 2006, l’importance des écosystèmes côtiers pour les migrations humaines est reconsidérée par la communauté scientifique : les côtes apparaissent alors comme un système écologique complexe permettant la propagation de groupes humains sans la nécessité d’innovations technologiques significatives. [12]
Il était généralement admis que les premiers humains soient arrivés en Amérique du Nord en traversant les surfaces terrestres momentanément accessibles de la Béringie. Cependant, la non viabilité des corridors entre les calottes glaciaires à des époques où des preuves archéologiques indiquent déjà des présences et migrations humaines rend impossible de telles traversées terrestres. Les écosystèmes côtiers de l’Amérique du Nord auraient donc pu permettre à des groupes humains de migrer avant que les corridors à travers les glaces soient viables. [11] Le caractère propice aux migrations des écosystèmes côtiers est alors régulièrement évoqué pour expliquer l’hypothèse de migrations côtières rapides soutenues par des données génétiques ou morphologiques [13]. Cette année (en 2017), des découvertes archéologiques récentes ont mis en évidence la présence de populations humaines installées sur des îles au large de l’Ouest du Canada il y a près de 14 000 ans. Des outils et indices indiquent que ces peuples naviguaient et chassaient des mammifères marins. [14]
Les premiers américains ayant peuplé le Nord de l’Amérique auraient donc d’abord peuplé les côtes en naviguant d’îles en îles, avant d’être rejoints par d’autres migrations terrestres à travers des corridors entre calottes glaciaires.

Des méthodes complémentaires

De multiples approches et méthodologies ont été mobilisées pour avancer dans la résolution des questions posées. Leur complémentarité a été soulignée par de nombreux auteurs, le couplage d’approches archéologique et génétique [5] [4] [9], génétique et paléo-environnementale [11] ont permis de préciser les scénarii de migration. L’approche génétique par l’étude des chiens domestiques, amenant de nouvelles données, ouvre également de nouvelles perspectives pour identifier plus précisément les voies migratoires [8]. Les approches morphologiques, notamment basées sur l’étude de l’évolution de traits morphométriques crâniens, sont quant à elles considérées comme des indicateurs peu rigoureux [15].

Conclusion

La colonisation de l'Amérique par l'Homme moderne serait donc un processus complexe comprenant plusieurs migrations, à plusieurs époques et à travers différentes voies migratoires.
L'Amérique du Nord aurait tout d'abord été peuplée par des migrations côtières il y a entre 30 et 14 000 ans, puis terrestres, le long de la Béringie et des côtes Ouest américaines. L'alternance de périodes de glaciation et l'ouverture de corridors il y a près de 13 000 ans aurait engendré des migrations secondaires et des flux de gènes menant à la différenciation de certaines lignées humaines.
Les premiers américains seraient restés plusieurs milliers d'années en Béringie avant de peupler le continent. Des flux de gènes avec l'Asie et l'Europe ont pu survenir à cette époque.
L'Amérique du Sud, peuplée par les populations venant du Nord, a également connu des migrations originaires de l'Océanie et de la Mélanésie. Certaines ethnies d'Amérique du Sud en gardent des signatures génétiques fortes.

Ouverture

La découverte d’ossements de mammouths datant d’il y a 130 000 ans, travaillés et présentant des marques d’outils, amène à reconsidérer totalement l’hypothèse d’après laquelle Homo sapiens serait la première espèce de son genre à avoir colonisé l’Amérique. La publication de S.R. Holen et al. à ce sujet, en avril 2017 dans Nature, invite à poursuivre des fouilles archéologiques approfondies pour déterminer si d’autres espèces du genre Homo étaient présentes avant l’arrivée de l’Homme moderne.

Publiée il y a plus de 6 ans par M. Dezetter et collaborateurs..
Dernière modification il y a plus de 4 ans.

Cette synthèse se base sur 16 références.