Introduction
L’expansion des villes a entraîné la construction d’infrastructures dans des zones inondables, augmentant ainsi les dégâts et l’intensité des inondations14,17,7,5. Les constructions de différents aménagements se succèdent, entraînant parfois un déplacement des problèmes7. Pourtant, de nombreux acteurs (habitants, politiciens, scientifiques, etc.) promeuvent l’importance de ces aménagements pour lutter contre les inondations7,17. Le « paradigme techniciste » est donc essentiel pour certains acteurs (comme les aménagistes ou certains élus). Il permettrait de stopper les inondations grâce à des moyens techniques comme les digues. Le milieu naturel est donc perçu comme support malléable au développement des activités humaines11. En revanche, avec le changement climatique et la prise de conscience écologique, un paradigme est apparu. Il devient nécessaire de considérer les conséquences écologiques des aménagements fluviaux, comme la destruction des habitats, ou encore la modification des cycles hydrologiques. Ce paradigme dit « environnementaliste » prône la restauration des cours d’eau de façon plus ou moins intense allant, d’après Brun et al 20149, de la “diversification” à la “renaturation”. Elle est définie comme une action volontaire et planifiée dans une logique intégratrice des facteurs environnementaux (naturels et anthropiques) favorables au maintien des fonctions naturelles du cours d’eau9. Nous allons dans un premier temps étudier les deux paradigmes distinctement puis questionner si une possible association entre le génie civil traditionnel et l’écologie est envisageable.
Les ouvrages techniques : solutions du passé, quel futur pour leur utilisation ?
Le développement des populations humaines a favorisé la modification des paysages afin de libérer de l’espace pour accroître leurs activités (agriculture, élevage, industries, installation d’habitations, etc.)17. La navigation est une des principales activités à l’origine des modifications morphologiques des cours d’eau. La linéarisation, les canaux ou encore l’élargissement et l’enfoncement des lits sont des techniques efficaces pour faciliter le trafic fluvial4. L’eau étant une denrée essentielle, de nombreuses activités se sont développées autour d’elle. Il a donc fallu aménager des zones à proximité.
Les barrages de rétention ou excréteurs, permettant de stocker ou dévier l’eau, ont permis de développer la production d’électricité (hydraulique et nucléaire)8. Dans le monde, de nombreux systèmes fluviaux comme celui de la Loire ont été aménagés massivement pour garantir l’usage d’une ressource pérenne. Les structures d’aménagement sont généralement de tailles imposantes et leur construction nécessite des moyens techniques de même ampleur14,11.
Cependant, le développement urbain en milieu riverain entraîne également une nécessité de développer une protection accrue contre les inondations13. Des digues ou barrages (du mètre à quelques kilomètres) ont été construits dans ce but. Ces techniques de protection existent depuis très longtemps, mais elles ont connu un pic d’usage après la seconde guerre mondiale. Les populations humaines ont pu prospérer grâce à une vision « prométhéenne » de la technique11. Cette vision a favorisé l'oubli du danger, car ces moyens sont considérés comme sûrs pour lutter contre les inondations. Pourtant, ils sont efficaces seulement pour des crues de moyens et faibles débits8.
Les modifications citées précédemment ont été conçues pour s’affranchir des risques sur le long terme. Malheureusement, les éléments qui les constituent sont fixes et installés dans des environnements changeants. De plus, les réponses aux modifications se produisent à des temps différents. Deux exemples historiques illustrent les limites du technicisme. Le Bonhomme-Morency7est un ruisseau québécois qui a été entièrement enroché en urgence (pour limiter l’effet d’incision, i.e enfoncement du lit et fragilisation des berges) suite à un détournement des eaux d’un affluent. Le Rhône en Chautagne (au profil naturellement en tresse) a été linéarisé pour répondre aux besoins du développement urbain. Dans ces deux cas, suite à des inondations importantes, les élus locaux ont engagé des procédures d’aménagement proactives (i.e rapides et sans recul) face aux dangers pour protéger les populations et les secteurs d’activités. Des études post-catastrophes ont révélé des modifications drastiques de l’équilibre entre le mouvement de l’eau et celui des sédiments. Les sédiments érodés rehaussent le fond du lit à un endroit inhabituel entraînant une remontée de la colonne d’eau et donc favorisant les débordements13. D’autres phénomènes physiques entrent en jeu, mais ne sont pas développés ici.
Il semble impossible de contrôler l’ensemble des phénomènes physiques. Il est donc nécessaire d’effectuer des suivis pour prévenir les effets négatifs des modifications morphologiques. Ce schéma de gestion, typique de la période 1950-1985, a fourni des éléments essentiels pour faire évoluer la pensée de la gestion fluviale et un changement d’acteurs (les États s’impliquent plus dans la gestion) et de paradigme11,7,1.
La renaturation et la bioingénierie : une nouvelle solution pour se protéger des crues ?
Face à l’état de dégradation des cours d’eau à l'échelle globale, de nombreux projets de réhabilitation écologique ont émergé. Ceci est lié à la prise de conscience de la perte de biodiversité, de l'augmentation de la pollution et de la perte d’habitats riverains (plaines alluviales, zones humides)17. Ces projets n’ayant pas pour premier objectif le contrôle des crues, leurs méthodes se sont avérées convergentes avec la régulation du débit et la résilience face aux inondations.
L'intérêt de la restauration a été nourri au départ par des actions de protection de la nature au niveau local. Les aménagements mis en place ont permis involontairement d’améliorer les conditions hydrologiques (régularisation du volume et des débits). Par exemple, pour la reconstitution d’habitats, l'ajout de rochers ou de troncs au sein du lit d'une rivière contribue à réduire la force du débit de l’eau. Il en va de même pour la réouverture d’un bras secondaire3. Ces conséquences involontaires ont stimulé le développement récent de méthodes intégrant l'ingénierie et la réhabilitation écologique. Plusieurs projets via ces méthodes ont déjà été menés, comme la re-végétalisation de pente, la création de barrières végétales jusqu’à la création de nouveaux lits2. La collaboration entre différents experts devient primordiale : l’écologie pour le choix des plantes, l’hydrologie pour la forme du cours d’eau et la prévention ou prévision des risques de débordement. Ces approches, étant novatrices, demandent d'importantes recherches pour définir les questions techniques, socio-économiques et écologiques. Ces approches étant pensées pour le long terme, il est impératif de prendre en compte des processus écologiques pouvant jouer un rôle dans la limitation des effets dus aux crues2.
Avec ces approches, le paradigme techniciste est peu à peu abandonné. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de contraindre le lit, mais de laisser la place aux mouvements de l’eau. L’urbanisation massive des plaines alluviales, l’assèchement des zones humides et la construction sur des zones inondables restreignent la rivière à un lit étroit, compromettant la fonction « d’éponge » de ces écosystèmes en cas de crue. La restauration écologique des systèmes fluviaux et la limitation de l’urbanisation en zones vulnérables permettent de s’adapter au cours d’eau au lieu de les contrôler. Les inondations sont alors maîtrisées plus naturellement via la topographie locale17.
Les techniques qui lient la renaturation et la protection contre les inondations ont toutefois leurs limites. Du fait de leur conception, elles demandent un suivi important dans le temps. Mise en place à échelle locale, elles ne sont efficaces que si elles sont coordonnées à une échelle plus large. Elles nécessitent donc une coopération entre les différents acteurs sociaux, économiques, et scientifiques. C’est un défi technique et social où les locaux doivent réapprendre, eux aussi, à vivre avec les cours d’eau.
Leçons du passé et du présent : une alliance entre la technique et l’écologie ?
Depuis les années 1980, il n’est plus question de continuer à subir des catastrophes désastreuses et meurtrières7. De nouvelles solutions sont apparues grâce à la pluridisciplinarité4.
Quand les sciences de la Terre et de l’eau ont été davantage intégrées aux études de gestion fluviale, elles ont permis d’apporter de nouveaux éléments de compréhension13. Des phénomènes liés à la régulation des flux, comme la déstabilisation de la charge fond, ou l'accélération des débits de crue, ont été révélés. D’autres domaines comme l’histoire et l’écologie ont amélioré la pertinence des études de terrain en considérant l’échelle temporelle et spatiale. Il est maintenant possible de combiner ou de développer plusieurs indices descripteurs, afin de savoir quand et quel(s) événement(s) est à l’origine de modifications hydromorphologiques. L’histoire apporte le recul nécessaire qui manquait dans les plans de gestion fluviale des années 19701.
Les disciplines qui utilisent et développent des technologies, comme la télédétection ou la photographie, viennent compléter les données de caractérisation. Les cours d’eau ne sont plus caractérisés localement (comme par le passé), mais ils le sont davantage à l’échelle des bassins versants11,6,1. La communication visuelle favorise donc la compréhension du problème et les informations sont ainsi plus facilement relayées.
L’écologie a permis de comprendre l’intérêt de garder des structures vivantes. Cependant, elle a pu difficilement s'imposer, car les résultats mettent généralement du temps à être perçus. La renaturation fluviale a parfois été jugée comme peu efficace, car les effets étaient trop variables ou opportunistes6.
La modélisation du comportement des cours d’eau avec ces techniques de gestion plus pérennes, permet de simuler les différents scénarios de gestion et sélectionner le plus adéquat6. Ainsi, les ambiguïtés et paradoxes qui contredisent les promesses des interventions écologiques peuvent être éclaircis. Combiner les disciplines est devenu une nécessité, ce qui est en phase avec le paradigme environnementaliste qui n’aménage plus, mais ménage les cours d’eau.
Outre les disciplines évoquées précédemment, la mise en place de projets passe aussi par des structures de décision. Par le passé, les décisions étaient prises par les élus locaux qui engageaient des promoteurs. Pour mieux coordonner les interventions et éviter les écueils dans la gestion fluviale, l'État est devenu un superviseur11. Des plans et schémas de gestion qui prennent en compte différents critères environnementaux (typologie locale, sociaux, économiques et écologiques) sont à présent votés et appliqués par les localités9, 4. Il est donc possible de lier le savoir de l’ingénierie avec celui de la recherche en écologie et d’autres disciplines pour adapter la gestion du territoire aux cours d’eau.
Conclusion
Les risques d'inondation menacent les villes fluviales du monde entier, bien que la plupart d’entre elles soit protégée par des infrastructures anti-crues. Ces dernières ne semblent pas entièrement fiables face à l'incertitude du changement climatique. Elles sont connues pour avoir endommagé les réseaux fluviaux et augmenté les risques d’inondation à long terme. La restauration des cours d’eau est apparue comme une solution pour atténuer les crues. Cette nouvelle stratégie a commencé à faire ses preuves, mais certains acteurs restent sceptiques. La complexité de cette controverse réside dans son caractère pluridisciplinaire avec des acteurs divers (scientifiques, politiciens, gestionnaires, économistes), dans sa spatialité (locale, régionale, nationale) et dans sa temporalité (apprendre du passé, faire des prédictions dans le futur). Bien que l’enjeu soit commun (réduction des inondations), des conflits résident dans les applications et les intérêts. Une nouvelle gestion doit être envisagée. Celle de la théorie de la « résilience urbaine aux inondations » décrite par Liao (2012)10 semble être une réponse clef. La ville doit être capable de tolérer les inondations et de se réorganiser en cas de dommages, mais pour ce faire, les institutions doivent être repensées.