Voir des espèces depuis longtemps disparues fouler à nouveau la surface de la Terre a toujours enthousiasmé la communauté scientifique et eu un grand écho dans la culture populaire. Avec l’avancée des sciences et les progrès de la biologie moléculaire, une partie de l’opinion scientifique commence à envisager sérieusement la possibilité de ramener à la vie des espèces éteintes. Bien que très peu d’essais concrets aient été réalisés, la littérature scientifique sur le sujet augmente de jour en jour. De nouvelles méthode de séquençage, de génie génétique et de biologie moléculaire font approcher progressivement ce rêve de la réalité.
Néanmoins, nous sommes encore loin de maîtriser tous les aspects techniques et écologiques d’un tel projet. Dans cette synthèse, nous allons nous demander si la science est en mesure de faire renaître une espèce disparue et de la replacer dans un environnement. Dans la première partie, nous nous demanderons si les scientifiques ont à l’heure actuelle la capacité technique de recréer un individu vivant d’une espèce disparue. Nous verrons ensuite si nous sommes en mesure d’en prévoir les impacts écologiques, et l’avis de la communauté scientifique sur les bénéfices et les risques d’une telle manipulation.
Ressusciter une espèce éteinte ne semble plus faire partie de l’univers de la science-fiction avec les avancées technologiques de ces dernières années. On retrouve communément dans la littérature trois méthodes qui permettent, ou permettraient dans un futur proche, de ramener à la vie des espèces disparues (Figure 1)[1][2]. La première de ces méthodes est le “clonage”. Il s’agit d’injecter le noyau d’une cellule d’un individu disparu dans le cytoplasme d’une cellule-oeuf énucléée. L’individu cloné se développe comme un embryon dans une mère porteuse et on obtient alors un nouveau-né génétiquement identique à l’ancêtre éteint. Le second protocole fait appel à l’ingénierie génétique. C’est l’une des voies les plus prometteuses car il s’agit de reconstituer informatiquement l’ADN d’une espèce éteinte, depuis une séquence d’ADN ancien. On modifie ensuite in vitro les séquences génétiques d’une espèce proche pour obtenir une espèce vivante avec l’ADN d’une espèce disparue. Même si l’acquisition de l’ADN ancien peut être laborieuse, les techniques actuelles permettent de recomposer le génome à partir de l’informations de plusieurs cellules de différents tissus, facilitant la reconstruction du génome complet. Enfin, la dernière possibilité est de faire ré-émerger des traits ancestraux chez une espèce par sélection artificielle et dirigée, pour obtenir le phénotype disparu. On appelle cette pratique le rétrocroisement.
Des preuves empiriques existent déjà et les conclusions sont encourageantes. En effet, la première expérience de clonage à partir de matériel de souris congelé plus de 16 ans, effectuée par Wakayamaa et al[3], a été un premier pas important vers la dé-extinction. Un an plus tard, le bouquetin des Pyrénées (sous-espèce des bouquetins ibériques), officiellement éteint en 2000, est cloné avec succès[4]. Mais le clonage n’est pas la seule méthode à avoir fait ses preuves. L’équipe de Yang et al[5] est récemment parvenu à inactiver un rétrovirus endogène porcin à l’aide d’une technique révolutionnaire : CRISPR-Cas9. Ils ont ainsi ciblé, et éliminé les gènes viraux intégrés au génome. On peut imaginer les possibilités d’applications à l’ingénierie génétique qui en découlent : élimination de gènes viraux, intégration de gène conférant une résistance à un pathogène ou une fonction écosystémique particulière. Enfin, le rétrocroisement a aussi été appliqué empiriquement et cela pour retrouver des phénotype disparus d’Auroch[1]. Cette espèce éteinte est à l’origine des bovins actuels et les traits phénotypiques qui lui étaient caractéristiques se retrouvent aujourd’hui dans différentes lignées bovines. Les rétrocroisements entre ces lignées sont en cours pour tenter de reconstituer à nouveau cette espèce.
Malgré ces avancées prometteuses vers la résurrection d’espèces disparues, ces techniques ne sont pas réellement concluantes dans l’état actuel des choses. Le clonage, étape nécessaire à deux des protocoles proposés par Beth Shapiro, rencontre pour l’instant de grandes difficultés. Le seul bouquetin ramené à la vie par Folch et al4, sur l’ensemble des embryons reconstitués, n’a en fait survécu que quelques minutes avant de mourir des suites de malformations pulmonaires. De même, le clonage de souris avec du matériel congelé depuis plus de 16 ans ne marche seulement qu’en construisant des hybrides. Le matériel génétique seul de ces souris ne suffit pas à obtenir de clones[5]. Dans ces conditions, il semble pour l’instant utopique de recréer une population entière avec des individus sains et capables de se reproduire.
Le fait de développer un embryon dans une mère porteuse d’une espèce différente a également pour conséquence que le nouveau-né va adopter la flore bactérienne de l’espèce hôte. En plus de la question de savoir si cette flore lui sera adaptée, le fait est qu’on recrée ici un holobionte (une espèce plus son microbiome) différent de l’espèce ancêtre[1][6]. C’est en fait le cas dans toutes les techniques utilisant le clonage : le noyau est bien celui de l’ancêtre, mais tout le reste (notamment la mitochondrie et son génome) provient de l’espèce-hôte. Ce problème est encore plus criant avec la technique de rétrocroisement, par laquelle on modifie simplement une espèce existante pour qu’elle acquiert des traits voulus. L’ensemble de ces biais impose une réflexion quant à la notion d’espèce[7]. Les trois protocoles présentés ne permettent en aucun cas de reproduire une espèce disparue à l’identique. La dé-extinction ne pourrait donc produire qu’un hybride, un clone identique pour le génome nucléaire ou un phénotype proche d’une espèce éteinte[1][7].
Enfin, la grande limite des techniques utilisant de l’ADN ancien reste l’âge de disparition de l’espèce, qui diminue à la fois les chances de récupérer l’ADN de bonne qualité et la probabilité d’avoir une espèce-hôte assez proche.
Il est crucial de prendre en compte la faisabilité écologique et les conséquences d’une expérimentation aussi importante que recréer une espèce disparue. Une tendance actuelle en écologie est de considérer un organisme comme une “espèce fonctionnelle” : plus que l’espèce en elle-même, c’est son rôle dans l’écosystème qui va la définir[1][8]. Une espèce disparue pourrait alors être intégrée dans un milieu ciblé pour qu’elle remplisse un rôle écosystémique particulier, sans que les chercheurs n’aient besoin de restaurer l'environnement d’origine de l’animal[9]. De plus, réintroduire une espèce peut augmenter la stabilité d’un écosystème et en restaurer les fonctions écosystémiques[8][10][11]. L’introduction ou la réintroduction d’espèces ingénieures d’écosystèmes permet notamment de créer de nouvelles niches écologiques et de nouvelles relations biotiques entre les organismes[12]. Par extension, leur présence augmente la diversité spécifique de l’écosystème et stimule sa résilience en cas de dégradation[8][10][12]. La réintroduction du mammouth laineux dans les steppes arctiques ou de l’Auroch dans des terres agricoles abandonnées pourrait permettre d’augmenter la qualité de ces biomes particuliers[1]. Ainsi, pouvoir ramener une espèce disparue augmenterait le spectre des espèces fonctionnelles disponibles, et même si ces espèces ne sont pas exactement identiques à leurs ancêtres, on peut penser qu’elles rempliront les même fonctions. Enfin, la dé-extinction pourrait permettre de stimuler les chaînes trophiques en replaçant une espèce disparue dans son écosystème selon la méthode de conservation du ré-ensauvagement[8][10][11]. Les conséquences de ce protocole sont notamment le rétablissement d’espèces “créatrices d’habitats” et l’augmentation de la résilience des écosystèmes.
La notion d’espèces fonctionnelle, bien qu’utile pour modéliser les interactions biotiques, présente tout de même certains dangers. Tout d’abord, utiliser une même espèce pour remplir une fonction écosystémique à grande échelle conduirait à une homogénéisation et une baisse de la diversité[10]. On court également le risque de réintroduire “à l’aveugle” des espèces mal adaptées, surtout dans le cas d’une espèce éteinte[13]. Il faudrait en effet être capables de connaître aussi précisément que possible les interactions de l’espèce avec son milieu afin d’éviter de coûteux échecs[14]. Celles-ci sont d’autant plus compliqués à estimer que que l’espèce a disparu depuis longtemps, ou est introduite dans un milieu différent de son écosystème d’origine[8][10][13]. Le manque de ressources et les interactions compétitives, difficilement prévisibles, peuvent dans le cas contraire empêcher le développement de la population[2][8][10][14][15]. Dans le cas d’une maladaptation, l’espèce peut s’éteindre ou inversement devenir invasive et mettre en danger la communauté existante, comme souvent lors d’introductions volontaires[2][10]. Dans le cas d’une espèce disparue, étrangère à l’écosystème, on court en plus le risque que l’invasion se couple à une hybridation avec les espèces résidentes[16], ce qui rend son contrôle encore plus difficile. Dans l’idéal, on ne devrait introduire une espèce que si l’on a ensuite la capacité de la retirer de l’environnement en cas d’échec du projet[15]. Dans le cas d’espèces reproduites par clonage le microbiome est différent de celui de l’animal d’origine[1], ce qui représente une contrainte supplémentaire. La co-évolution hôte-symbiotes est primordiale pour l’adaptation d’une espèce à un environnement donné et est impliquée dans la digestion ou encore la résistance aux pathogènes par exemple[1][6]. Sans ces relations étroites, il semble complexe de voir une espèce persister en milieu naturel.
Un autre frein majeur à la dé-extinction réside dans le choix de l’espèce. Il est essentiel de se tourner vers des espèces à temps de génération court pour qu’elles puissent s’établir rapidement dans le milieu[2][13]. Il semble donc difficile de maintenir, de manière viable, une population de mammouths laineux dont les portées sont espacées de plusieurs années[2]. La dé-extinction pose ainsi directement le problème du brassage et de la diversité génétique. En utilisant une seule séquence d’ADN ancien pour recréer toute une espèce, la population créée sera fortement sujette à la dépression de consanguinité[8]. Mais c’est également le cas dans les méthodes de rétrocroisement, où la taille de l’échantillon initial sur lequel on applique la sélection dirigée est très faible[1]. Enfin, quels que soient les protocoles utilisés, en ne ramenant qu’un type de phénotype à la vie et en ayant très peu de brassage génétique, on limite le polymorphisme au sein de la population et donc son potentiel adaptatif. Ces constatations remettent directement en question la capacité actuelle de rétablir, en milieu naturel, une espèce disparue.
Conclusion
Dans le cadre d’un projet cohérent et raisonné, ramener une espèce éteinte à la vie pourrait avoir de nombreux effets positifs aussi bien écologiques que socio-économiques. En effet, ce serait un moyen idéal pour augmenter la diversité ou la stabilité de nombreux écosystèmes. Cependant, en plus de problèmes éthiques sur lesquels nous ne nous sommes pas étendus ici[7][13][15], nous sommes encore loin de pouvoir prédire efficacement le devenir d’une espèce introduite dans un écosystème, a fortiori quand elle est éteinte et que nous ne disposons d’aucune observation. Les techniques disponibles, bien que prometteuses, ne semblent pas à l’heure actuelle en mesure de fournir une population viable apte à repeupler un écosystème. Néanmoins, d’autres approches existent qui bénéficieraient également aux écosystèmes, sans se limiter aux espèces éteintes : par exemple, il serait intéressant d’utiliser ces nouvelles technologies afin de renforcer des populations qui tendent vers l’extinction dans un but de conservation[17].