Le concept de parc éolien offshore (OWF pour Offshore Wind Farm) existe depuis peu, mais il a principalement pris son essor avec la construction du premier OWF au Danemark en 1991. L'Europe est actuellement en tête avec 84% de la capacité installée mondiale, contre 15% de la capacité éolienne mondiale installée pour la Chine (GWEC, 2017). L'attention croissante portée au changement climatique couplée au besoin de sources d'énergie alternatives et à la baisse des coûts de production d'énergie éolienne alimente l'intérêt pour la production d'énergie éolienne en mer, plus rentable que son homologue terrestre. Outre ce besoin en énergie renouvelable, nous pouvons nous demander face à une telle expansion, si cette croissante d'OWF dans le monde ne peut pas avoir des conséquences dramatiques sur les écosystèmes marins.
Des études ont montré que les OWF en construction pouvaient affecter la santé et la survie d'espèces vulnérables et parfois d'intérêt économique. C'est également le cas de la phase fonctionnelle qui peut modifier le comportement d'agrégation ou la migration de certaines espèces de l'ichtyofaune. En parallèle, des études prouvent le bénéfice que peuvent apporter les OWF aux écosystèmes marins, comme le potentiel de création d'habitats (refuge, reproduction) ou encore la protection de certaines espèces contre la pêche commerciale.
Dans le cadre de notre controverse, nous nous sommes particulièrement intéressés à l'impact des OWF sur l'ichtyofaune au niveau individuel, mais aussi à l'échelle des communautés. L'ichtyofaune désigne un sous ensemble de la faune aquatique qui regroupe les poissons. Les "poissons" sont un regroupement sans réalité biologique puisqu'il désigne des animaux qui ne partagent pas une histoire évolutive commune. Dans le cadre de notre controverse et comme dans la littérature citée, il désigne plus simplement et individuellement les poissons osseux (Actinoptérygiens) et cartilagineux (Chondrichtyens).
Diverses questions ont été soulevées dans le cadre de cette controverse. Dans un contexte où la construction des parcs éoliens connaît une augmentation croissante ces dernières années, nous avons cherché à répondre aux questions suivantes :
La demande mondiale d'énergie renouvelable augmente, motivée par le défi de réduire la dépendance à l'égard des énergies fossiles et d’atteindre les objectifs de production d'énergie renouvelable et de réduction des émissions de carbone [1]. Les parcs éoliens offshores (OWF) se présentent comme la solution alternative appropriée dans toutes ces perspectives [2] ; [3]. Les demandes d’installation d’OWF ne cessent d’augmenter dans les régions côtières. Cependant deux demandes d’installation dans la mer Baltique ont été refusées pour des raisons de conservations de la biodiversité marine [4]. Étant donné la croissance récente de cette industrie, il y a beaucoup de discussions sur les effets environnementaux potentiels en attendant les preuves empiriques recueillies après la création des parcs éoliens offshore [1]. Ainsi, dans le cadre de notre controverse, nous pouvons nous demander de quelle manière les OWF peuvent impacter la faune marine, plus particulièrement l’ichtyofaune. Face à cette expansion rapide en énergie éolienne offshore, les conséquences sur la biodiversité marine s’intensifient. Plusieurs questions ont pu être soulevées :
1.Interactions entre les OWF et les écosystèmes
a.Types de structures utilisées et cycle de vie d’un projet éolien offshore
Trois phases composent un projet éolien offshore : la phase de construction peut durer un an ou plus. Les fondations des turbines sont installées en premier. Trois types existent : monopieux nécessitant un battage des pieux dans le substrat, en gravité et en trépied [3]. Des câbles sous-marins reliant les turbines entre elles et au rivage sont encastrés sur ou dans les sédiments. Pour éviter la corrosion des fondations, un revêtement en polyester ou une protection cathodique est utilisé [5]. La phase de fonctionnement peut durer 25 ans et implique une maintenance périodique. La phase de déclassement peut nécessiter l'utilisation d'explosifs sous-marins. Ainsi, dans le cadre de cette controverse, nous nous sommes intéressés seulement aux phases de construction et de fonctionnement, car il n’y a pas encore eu d’OWF déclassé.
b.Impacts des OWF sur l’écosystème lors de la phase de construction.
L'augmentation du trafic maritime lors de cette phase génère du bruit et un risque potentiel de déversement de carburant [5]. L’enterrement des câbles et la construction des fondations de la turbine sont aussi source de sons et de vibrations à longue distance. En particulier lors du battage des pieux où les percussions à répétition ont un effet de résonance dans l’eau et le substrat induisant la faune et flore sessile [6] ; [7] ; [8] ; [9] ; [3]. La mise en place d’OWF change la circulation du vent à l’échelle locale et donc ses interactions avec l’eau de surface. Ces contraintes physiques modifient la dynamique de remontée de l’eau autour de l’OWF qui affecte la température de l’eau, la dynamique sédimentaire et la quantité et le type de nutriments qu’elle transporte [10].
c.Impacts des OWF sur l’écosystème lors de la phase de fonctionnement.
Les monopieux, installés des substrats sableux, créent un nouvel habitat entraînant un gain d’abondance et de richesse spécifique [1] ; [3]. L’isolation des câbles électriques ne permet pas de neutraliser le champ électromagnétique généré. Chez les espèces sensibles, ces champs magnétiques artificiels peuvent interférer avec leur orientation et leur navigation [2]. La rotation des hélices lors de la phase de fonctionnement génère un son qui serait moins marqué lors de la phase de construction. Cependant, il peut être un facteur de stress en éloignant ceux qui y sont sensibles et en diminuant leur capacité à discerner des sons comme ceux de leurs congénères, de leurs proies et prédateurs [7] ; [8]. Le revêtement de protection anticorrosion des éoliennes se dégrade et libère dans l’eau et dans le sable des composés chimiques qui présentent des propriétés toxiques. On en trouve à différents niveaux du réseau trophique [5]. Les poissons prédateurs pourraient être exposés à des doses plus importantes en raison d’une bioaccumulation. Un nombre important de particules en suspension dans les OWF sont susceptibles de se fixer à des polluants et favoriser leur sédimentation, pouvant affecter la faune benthique.
2. Impacts sur l’ichtyofaune (physiologique, écologique, comportementale)
a. Échelle individuelle
Au niveau écologique, la présence d’OWF est bénéfique pour la recherche en nourriture. Les analyses du contenu stomacal de Trisopterus luscus, le Tacaud commun, ont démontré la préférence alimentaire pour les espèces de proies vivant sur les turbines [11]. Cependant, la présence d’OWF peut être négative sur le comportement et le métabolisme des poissons. Lors d’un changement environnemental un stress hormonal peut apparaître chez certaines espèces, entraînant des détresses respiratoires et une diminution du succès reproducteur [12]. Le changement de turbidité lors de la phase de construction et opérationnelle, peut entrainer des effets létaux et sublétaux sur l’ichtyofaune [12]. Certaines espèces se servent du champ électromagnétique comme boussole pour se repérer dans une eau à forte turbidité [13]. Ainsi des espèces particulièrement sensibles comme les élasmobranches pourraient donc être perturbées dans la recherche de nourriture. Chez Esox lucius, le grand brochet nordique, l’éclosion précoce des larves et la réduction du sac vitellin ont été corrélés avec un champ magnétique perturbé [13]. Cela pourrait avoir des impacts sur la mortalité en raison des impacts cumulés avec d’autres pressions dans les zones d’OWF, par exemple, l’introduction de nouvelles espèces prédatrices [14]. Les vibrations et les variations de pression importantes issues de l’enfoncement des pieux engendrent des conséquences physiologiques, comme l’endommagement de l’oreille interne et la vessie natatoire des poissons qui en possèdent [7] ; [8] ; [3]. Les espèces dont le mode de vie est dépendant d’une ouïe fine et celles qui vivent à proximité du fond sont susceptibles d’être plus grandement affectées. La ligne latérale peut aussi être endommagée, ce qui a pour conséquence des problèmes d’orientation du poisson dans son milieu [6] ; [8] ; [3].
b. Échelle de la communauté
La construction du parc éolien présente un risque élevé pour les communautés de morue Gadus morhua dû aux battages de pieux est l'activité la plus dangereuse du point de vue écologique [15]. Malgré cela, il est démontré que les communautés de poissons, dont G. morhua sont plus abondantes au sein des OWF une fois qu’elles sont opérationnelles [16]. Les éoliennes sont rapidement colonisées par des moules et des algues. Ces zones pourraient constituer des refuges pour les alevins en particulier pour des espèces qui comme le gobie se servent des moules pour protéger leurs oeufs et se nourrir. Les zones côtières sont des nurseries naturelles pour les jeunes raies et requins, car les prédateurs y sont moins nombreux, mais aucune étude n’a évalué l’impact des constructions pour ces espèces [17]. Certains articles remettent en question l’origine de cette abondance. En effet, il est possible que l’abondance à proximité des turbines soit la conséquence directe de la restriction de la pêche dans les zones d’OWF [2]. Dans un banc, les poissons se repèrent par rapport aux mouvements de ses voisins grâce aux mouvements de particules perçus par sa ligne latérale. Les champs électromagnétiques peuvent entraîner des performances de chasses médiocres et des interférences dans la coordination au sein des bancs de poissons conduisant à une désorientation et à des échecs de migrations [2]. La pollution sonore anthropique peut aussi impacter les avantages fonctionnels du comportement collectif d’un groupe. En effet, les groupes de Dicentrarchus labrax, le bar européen, confrontés à la lecture du bruit de l'enfoncement des pieux sont devenus moins cohérents, moins ordonnés et moins corrélés en termes de changements de vitesse et de direction [6].
c. Conséquences évolutives
Les conséquences évolutives des modifications de l’environnement vont dépendre des stratégies adoptées pour pallier à ces phénomènes. Certaines espèces se mettent à éviter la zone et les espèces restantes vont résister aux différents stress induits. Cela aura pour effet de changer les chaînes trophiques locales, les interactions proies prédatrices, la survie et succès reproducteurs des poissons présents. Sur le long terme, cela peut entraîner des changements épigénomiques, des phénomènes de spéciations ainsi que des changements dans les dynamiques et la génétique des populations [3] ; [12].
3. Mesure de gestion et d’amélioration
a.Modélisation
Il est possible d’utiliser un certain nombre d’indicateurs écologiques pour modéliser l’intégrité écologique d’un aménagement. Ces indicateurs incluent la capture d’énergie utilisable, la production d’entropie (impact carbone issu de la respiration par an), la capacité de stockage biotique, le cycle des nutriments, la perte en nutriment, la diversité biotique, l'hétérogénéité abiotique et l’organisation [18]. Un aperçu de la dynamique de ces indicateurs produit lors de la phase de construction et de la phase opérationnelle, et ce, au cours des saisons. Cependant un manque cruel de données ne permet pas de prédire l’effet de la mise en place d’OWF sur les écosystèmes marins [4].
b. Suggestions par les auteurs
La mise en place et le fonctionnement d’OWF ne sont pas toujours bénéfiques, selon les espèces et l’écosystème local. Cependant, des stratégies de gestions permettraient de diminuer ces impacts [16] ; [2] ; [15]. En effet, les études disponibles suggèrent que les activités de construction ne devraient pas avoir lieu dans des zones de recrutement pour les poissons et que des actions pour réduire l'exposition devraient toujours être entreprises. Pour les espèces migratrices, cela pourrait être résolu en planifiant les activités de construction en dehors des périodes biologiquement sensibles de l'année [15]. Les effets écotoxicologiques des matériaux utilisés dans le système de protection de l’éolienne devraient être quantifiés.
Conclusion et perspectives
Les études menées sur l’impact des OWF sur l'ichtyofaune ne permettent pas de déterminer si elles ont un effet néfaste ou non. Il existe un consensus quant aux effets néfastes lors de leurs constructions, qui indiquent que les impacts potentiels sur l’ichtyofaune doivent être soigneusement pris en compte lors de cette phase. Néanmoins, les impacts potentiels pendant la phase d'exploitation seraient plus variables localement et pourraient être négatifs ou positifs selon les conditions biologiques ainsi que les objectifs de gestion en vigueur. Ces dernières années, le nombre d'études a augmenté rapidement en raison de l'intérêt croissant des OWF. Il est important de noter qu’il semble exister une différence entre les études expérimentales, indiquant des effets néfastes, et les observations réalisées, indiquant des effets négligeables. Cependant, les études restent limitées dans leur portée spatiale et temporelle. De toute évidence, un manque de travail interdisciplinaire et de données apparaît concernant les impacts des OWF sur l’ichtyofaune et ses interactions avec son environnement. De plus, les données disponibles pourraient contenir de nombreux biais et ne pas être exploitables. Pour la majorité des études ont été menées que deux à trois années avant et après la construction, et aucun n’utilisent le recensement visuel. Les modèles biologiques devraient être plus diversifiés : les études se focalisent principalement sur les mammifères marins, les oiseaux et les poissons osseux, mais les élasmobranches souffrent d’un manque cruel de données alors que 17% figurent sur la liste rouge des espèces menacées de l’UICN. L’expansion des parcs éoliens étant un événement récent, il sera indispensable dans un futur proche de s’interroger sur le devenir des OWF et de considérer leurs impacts lors de la phase de déclassement. Il serait intéressant de réaliser des modèles permettant de les déterminer afin de minimiser les dégâts lors de cette phase.