Cette synthèse appartient à la controverse Y a-t-il un avantage adaptatif à l'homosexualité ?

La plupart des hommes seraient sexuellement attirés par les femmes et inversement : ils sont dits hétérosexuels. Cependant, une partie de la population est homosexuelle, c'est à dire attirée par les personnes de même sexe. L’homosexualité a longtemps été condamnée dans de nombreuses sociétés, mais sa persistance dans les populations, et la mise en évidence du rôle potentiel de mécanismes biologiques innés dans le comportement humain, notamment de “gènes de l’homosexualité”, contribuent à une acceptation croissante dans de nombreuses sociétés actuelles. Toutefois, l’homosexualité exclusive, qui désigne le fait de n’avoir aucune relation sexuelle avec le sexe opposé, est associée à un taux de reproduction très faible. Son maintien dans les populations s’oppose ainsi directement à la théorie sélective Darwinienne. Un avantage adaptatif pourrait toutefois expliquer son maintien, et il convient alors de s’interroger : “y a t-il un avantage adaptatif à l’homosexualité?”. Cette synthèse s'articule en deux principales sous-questions, reflétant les débats scientifiques sur la question : (1) Y a-t-il un déterminisme génétique de l’homosexualité, et quel est-il ? Puis, (2) pourquoi est-elle maintenue dans les populations ?

(1) Y a-t-il un déterminisme génétique de l’homosexualité, et quel est-il ?

L’observation de l’homosexualité dans certaines familles a poussé certains chercheurs à étudier le déterminisme de cette orientation. LeVay (1991) montre que le noyau INAH3 est deux fois plus important chez les hommes hétérosexuels que chez les homosexuels. Puis Hamer et al. (1993) proposent, suite à des analyses généalogiques, qu’un ou plusieurs locus de la région chromosomique Xq28 seraient impliqués dans l'homosexualité masculine et transmis par la mère. Cette découverte reste cependant controversée, comme l’expose Ferrante (2014), qui rappelle que la corrélation ne signifie pas causalité et que Hamer et al. avaient souligné dans leur article des incertitudes et l’implication probable d’autres facteurs. Cette notion a toutefois été très médiatisée, jusqu'à être couramment appelée "gène gay"[1]. Des études récentes mettent toutefois en évidence un potentiel facteur génétique lié au chromosome X, associé à l'homosexualité masculine et à une fécondité accrue chez les femmes (e.g. Camperio-Ciani et al., 2012). Cette contribution de facteurs génétiques à la mise en place de l’homosexualité semble être confirmée suite aux études sur les jumeaux (Rahman & Wilson, 2003 ; Levay & Hamer, 1994). En effet, de nombreuses études montrent plus de concordance dans l’orientation sexuelle chez les vrais jumeaux (monozygotes) que chez les faux jumeaux (dizygotes) (Rahman & Wilson, 2003).

Par ailleurs, il semblerait que l’environnement hormonal, notamment le taux de testostérone au niveau embryonnaire, influence le comportement sexuel mais également la physiologie du neurone INAH3 (Balthazar, 2010 ; Rahman, 2005). Blanchard (2004) montre qu’il existe une corrélation positive entre le nombre de frères plus âgés que possède un sujet donné et la probabilité qu’il soit homosexuel. C’est « l'effet des frères plus âgés» (FBO)[2][3][4]. Cela pourrait être expliqué par une réaction de type immunologique, appelée “hypothèse de l’immunisation maternelle progressive” : la mère perçoit l'embryon masculin comme un corps étranger ce qui affecterait le développement de régions cérébrales impliquées dans le déterminisme de l'orientation sexuelle en favorisant l’homosexualité[5][4].

Enfin, des mécanismes épigénétiques pourraient être à la base de l’orientation homosexuelle. En effet, Ngun et Vilain (2014) citent des mécanismes épigénétiques pouvant expliquer cette régulation : l’effet à long terme de l’exposition aux hormones prénatales, le déclenchement des antigènes mâles chez la mère (à l’origine de l’effet FBO) et les différences de méthylations de l’ADN entre jumeaux monozygotes et dizygotes. Aucune de ces hypothèses n’a été testée.

Ainsi, de nombreuses études portent à croire qu’il y un déterminisme génétique et environnemental impliqué dans l’orientation sexuelle des hommes. La part de chacun de ces facteurs dans l’orientation sexuelle est débattue, mais Zietsch et al. (2012) proposent que les facteurs génétiques représentent 31% de la variation d'orientation sexuelle. Cette dernière étant sélectionnable, il est donc évolutivement paradoxal que l’homosexualité se maintienne dans les populations. Ainsi, la seconde partie de notre analyse se portera sur les causes possibles du maintien du comportement homosexuel.

(2) Pourquoi l'homosexualité est-elle maintenue dans les populations ?

Une des premières théories pour expliquer le maintien de l’homosexualité dans les populations actuelles est la théorie de la sélection de parentèle. Énoncée par Wilson en 1975[6], elle reprend la théorie de Hamilton (1964)[7], et dit que la moindre reproduction des individus homosexuels peut être compensée par un comportement altruiste vis-à-vis de leurs apparentés, ce qui augmenterait la valeur sélective de ces derniers, permettant ainsi la transmission du patrimoine génétique commun. En Occident, aucune étude ne confirme cette théorie (e.g. Rahman & Hull (2005)). Néanmoins, Vasey et al. (2007) montrent que les fa’afafine, les hommes homosexuels des Samoas, ont un comportement avunculaire plus prononcé que les hommes hétérosexuels. Cela augmenterait la valeur sélective de leurs neveux et nièces, et celle de leurs frères et soeurs indirectement. Ces mêmes auteurs proposent alors que l’expression d’un comportement altruiste ne se ferait que dans des sociétés dites collectivistes, comme les Samoas, mais Vasey et VanderLaan (2011) ne retrouvent pas ce patron au Japon. Ainsi, ils concluent que l’expression du comportement altruiste dépend de conditions très particulières, et que la théorie de la sélection de parentèle ne permet pas d’expliquer le maintien global de l’homosexualité.

L’hypothèse de la femme fertile, ou hypothèse du gène à effet sexuellement antagoniste (SAGH) a été proposée par Trivers et Rice dans les années 1990[6]. Cette théorie dit que l’homosexualité masculine est déterminée par un gène se situant sur le chromosome X, et que l’allèle déterminant l’orientation homosexuelle chez les hommes augmenterait la fécondité chez les femmes. Plusieurs études confirment cette hypothèse, en observant une hausse de fécondité dans les lignées maternelles d’hommes homosexuels uniquement (e.g. Iemmola et Camperio-Ciani (2007)). Camperio-Ciani et al. (2012) mettent d’ailleurs en évidence que ces femmes ont, entre autres, moins de problèmes gynécologiques et de complications de grossesses, et sont plus extraverties. Plus récemment, Bailey et al. (2016) émettent des doutes quant au fait que cette hausse de fécondité puisse compenser la moindre reproduction des hommes homosexuels. A l'aide de simulations mathématiques, Chaladze (2016) montre qu’une homosexualité exclusive des hommes ne permet pas le maintien de l’allèle en question. Néanmoins, s’il y a de la plasticité phénotypique sur l’orientation sexuelle, alors le maintien de l’allèle est possible. Une telle plasticité n’est pas improbable, Vrangalova et Savin-Williams (2010)[8] observent dans une étude que 43% des individus hétérosexuels éprouvent une attirance pour un homme au moins une fois dans leur vie.

Un autre courant d’hypothèses envisage l’orientation sexuelle comme un caractère non-dichotomique. L’orientation homosexuelle masculine exclusive serait notamment une version extrême du caractère général de féminisation des hommes qui favorise le lien social (McKnight, 1997 In [9][6]). Dewar (2003 In [9]) suggère que ce caractère serait une adaptation à la vie en société, et que sa fréquence pourrait avoir augmenté avec l’émergence des sociétés complexes et sédentaires à partir du Néolithique (il y a environ 12 000 ans au Proche-Orient). Récemment, Fleischman et al. (2014) proposent et démontrent expérimentalement l’hypothèse de l’affiliation. Cette théorie dit justement que la motivation homoérotique permet de renforcer des liens sociaux. Cette hypothèse a déjà été démontrée chez les primates non-humains (Vasey, 1995; Wallen & Parsons, 1997)[10]. L’augmentation de la motivation homoérotique serait corrélée à une augmentation du taux de progestérone, et serait ainsi soumise à la sélection naturelle. Si la motivation homoérotique peut conduire à l’homosexualité, elle est aussi fréquemment observée chez les hétérosexuels. En outre, Apostolou (2016) constate sur des individus grecs et chypriotes que de nombreux hommes apprécient que leur partenaire féminine ait des attirances homoérotiques, suggérant ainsi un nouvel avantage adaptatif de ce trait chez les femmes.

En plus du coût évident du comportement homosexuel exclusif lié à un taux de reproduction nul, certaines études mentionnent d’autres coûts souvent non pris en compte dans la balance coût-bénéfice de l’homosexualité. Apostolou (2016) démontre ainsi que les individus homosexuels sont soumis à une pression sociale significative en provenance de leur entourage proche (parents, partenaire). Aussi, Zietsch et al. (2012) prouvent que les individus homosexuels sont plus touchés par la dépression, et que cette corrélation serait majoritairement associée à des facteurs génétiques.
La plupart des hypothèses expliquent la fréquence élevée de l’homosexualité dans les populations par un avantage adaptatif. Face aux difficultés éprouvées pour les prouver empiriquement, Apostolou (2016) propose l’hypothèse d’affaiblissement des pressions de sélection. Selon lui, les normes sociales imposées, qui se traduisent notamment par les mariages arrangés et la pression de l’entourage, suppriment le coût du faible taux de reproduction chez les homosexuels, en régulant les choix d’accouplement. Ces pressions, particulièrement fortes au sein des sociétés ancestrales, auraient ainsi permis un maintien de l’homosexualité sans qu’il n’y ait d’avantage adaptatif particulier. Ainsi, si certains voient dans l'apparition de l'homosexualité une adaptation à la vie en société (e.g. Dewar, 2003 In [9]), la coïncidence entre sociétés complexes et homosexualité pourrait en fait être due à l'affaiblissement des pressions de sélection. Cet affaiblissement peut aussi être permis par le phénomène de “fluidité sexuelle”, qui représente les variations de l’orientation sexuelle d’un individu au cours de sa vie, et serait plus marqué chez les femmes (Diamond, 2009 In [7]).

Pour conclure

L'existence d’un déterminisme génétique de l’orientation sexuelle semble désormais admise scientifiquement, ce qui implique que l’homosexualité a pu être sélectionnée. Cependant des facteurs environnementaux tels que l’effet des frères plus âgés ont aussi été démontrés. Le débat actuel s’organise principalement autour de la question “quelle est la part de génétique dans le déterminisme de l’homosexualité ?”.
Il n’y a pas d’explication définitive au maintien de l’homosexualité. Si cette orientation est maintenue par un avantage adaptatif, elle pourrait prendre plusieurs formes. Le gène de l’homosexualité pourrait être avantageux à un niveau individualiste, en augmentant la fécondité (théorie de la femme fertile) ou l’attraction des femmes porteuses du gène, et l’homosexualité serait dérivée de cet avantage. L’homosexualité pourrait être une adaptation à la vie en groupe, en permettant de renforcer et maintenir des liens sociaux (théorie de l’affiliation), ou en permettant à des apparentés d’augmenter leurs valeurs sélectives (théorie de la sélection de parentèle). Néanmoins cette dernière théorie ne semble pas permettre d’expliquer le maintien global de l’homosexualité.

De plus, d’autres expériences montrent de nombreux coûts à l’homosexualité. Outre une fécondité réduite voire nulle, les individus homosexuels sont soumis à de fortes pressions sociales, et à des risques accrus de dépression. Un éventuel affaiblissement des pressions de sélection, qui estomperait les coûts de l’homosexualité exclusive, pourrait également être à l’origine de son maintien.
Cette controverse peine à avancer de par de nombreux obstacles expérimentaux. La plupart des études portent sur des petits échantillons tronqués socialement et géographiquement, et ne prenant pas en compte la fluidité sexuelle. Les expériences sont également éthiquement difficiles à mettre en place. Enfin, la plupart des auteurs se concentrent sur une théorie unique, ne mettant pas ou peu en relation les différentes hypothèses. Il est en effet fort probable que le maintien de l’homosexualité soit multifactoriel.

Publiée il y a presque 8 ans par Université de Montpellier et collaborateurs..
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Cette synthèse se base sur 22 références.