INTRODUCTION
Depuis plus de deux décennies, la protection de l’environnement s’impose de plus en plus comme une préoccupation mondiale majeure. Or, dans le domaine de l’agriculture et de la santé, la méthode de protection classique est celle faisant appel aux pesticides. Malgré de nombreux avantages économiques, l’apparition croissante de résistance et la suspicion de dégâts environnementaux et sanitaires liés à l’utilisation intensive de pesticides mènent aujourd'hui à envisager d’autres moyens de protection tels que la lutte biologique, considérée comme à priori plus respectueuse. La définition même de la lutte biologique varie suivant les auteurs, mais pour la suite de notre analyse, la lutte biologique sera considérée comme correspondant à une réduction des populations nuisibles par des ennemis naturels (prédateurs, parasitoïdes, pathogènes). Aujourd’hui elle est utilisée dans l’agriculture pour lutter contre les ravageurs et les phytopathogènes, mais aussi en santé pour contrôler les vecteurs de maladies infectieuses (Blagrove, 2013). Cette technique de lutte est donc mise en place pour satisfaire des exigences écologiques et toxicologiques. Elle apparaît par conséquent comme une alternative à la lutte chimique.
Cependant, certains auteurs (Simberloff & Stiling, 1996) ont mis en évidence que cette méthode de lutte alternative peut aussi s’avérer nuisible à l’environnement. Dès lors, une controverse aux enjeux économiques, sociaux, environnementaux et scientifiques s’est établie : La lutte biologique peut-elle se substituer à la lutte par les pesticides? Autrement dit : est-elle aussi efficace et rentable que la méthode chimique conventionnelle? Quels sont ses points négatifs et positifs? Présente-t-elle autant de risques pour l’environnement ?
Pour répondre à ces questions, des études allant de 1996 à 2015 ont été analysées. Nos analyses sont surtout centrées sur l’agriculture mais nous abordons aussi les problématiques liées à la lutte contre les vecteurs de maladies infectieuses.

COEUR DE LA SYNTHESE
Dans un premier temps, il est important de comprendre pourquoi les pesticides constituent à ce jour la méthode de lutte la plus utilisée contre les nuisibles. Cela tient surtout à des avantages économiques. En effet, les pesticides ont révolutionné la lutte contre les ravageurs de cultures. Ils permettent d’augmenter la qualité et la quantité des produits issus des cultures traitées ainsi que de réduire les pertes liées aux mauvaises herbes et aux phytopathogènes. Indirectement ils ont donc un impact bénéfique sur la santé humaine (Aktar et al., 2009 ; Blair et al., 2014 ; Testud et al., 2015).
Pourtant, il est admis que les pesticides peuvent aussi avoir des impacts négatifs sur la santé (Aktar et al., 2009 ; Blair et al., 2014) via une contamination des légumes et fruits issus de cultures traitées, et via la pollution de l’environnement (Aktar et al., 2009). De plus, l’action non spécifique sur une espèce cible peut avoir des conséquences néfastes sur l’écosystème (Testud et al., 2015), notamment sur la diversité des populations.
Geiger et al. (2010) ont montré à travers leur étude que la baisse des populations de carabes, d’oiseaux nicheurs, de plantes sauvages et de prédation naturelle des pucerons (ravageurs des cultures) était due à l’utilisation des pesticides dans les champs d’Europe.
Aussi, puisque les pesticides peuvent induire une résistance des nuisibles face aux composés chimiques, ils entraînent une utilisation de plus en plus intensive et donc un coût élevé sur le long terme (Testud et al., 2015).
Des alternatives telles que la lutte biologique permettent également une augmentation de la productivité de certaines cultures et une réduction des ravageurs (Offenberg, 2015). En plus d’être moins coûteuse (donc plus accessible) elle est inoffensive pour la santé humaine (Offenberg, 2015).
Il est vrai que ne pas lutter contre un nuisible peut induire de fortes pertes économiques. Cependant malgré les dommages causés par la lutte biologique, c’est une technique qui devient plus avantageuse car l’utilisation des pesticides et des méthodes mécaniques sont davantage coûteuses et dangereuses (Simberloff & Stiling, 1996). Par conséquent, ne rien utiliser pour lutter contre des ravageurs peut entraîner des pertes économiques importantes, comme l’ont montré Barratt et al. (2000) avec L. bonariensis un coléoptère ravageur responsable de 78 à 251 millions de dollars de perte par an.
Malgré l’usage d’un auxiliaire de lutte souvent efficace sur son organisme cible, il a été observé dans de nombreux cas des dommages sur des espèces natives non cibles.
Ainsi, trop souvent le manque d’étude sur la spécificité de l’agent introduit (Brodeur, 2012), c’est à dire sur son spectre d'hôtes/proies, sur son régime alimentaire, sa biologie, son écologie et son comportement (Barratt et al., 2000; Hoki et al., 2014) mène à des effets non anticipés sur les populations natives non cibles (Koch et al., 2003; Barratt et al., 2000; Willis & Memmott, 2005; Pearson et al., 2003). Ces espèces peuvent être considérées comme des espèces dites clé de voûte et donc conduire dans certains cas à des déclins voir des extinctions (Simberloff & Stiling, 1996 ; Louda, 1997; Louda & O'brien, 2002).
La connaissance du spectre d’hôtes/proies et du régime alimentaire (Louda, 1997) doit alors être prise en compte avant d’introduire un agent de lutte dans un milieu. En effet, celui-ci peut entrer en compétition pour les ressources avec des espèces autochtones ce qui entraînerait une perturbation des réseaux alimentaires et des structures des communautés (Willis & Memmott, 2005; Hoki et al., 2014). Mais l’agent de lutte, peut aussi devenir cible d’espèces natives ou indigènes (Pearson et al., 1999) et prédater d’autres espèces autochtones (Koch et al, 2003).
La méconnaissance écologique est un problème critique dans les études de la gamme d’hôtes non-cibles. Cela empêche une étude exhaustive des hôtes potentiels et une sélection objective des espèces pour les tests de laboratoire et dans une certaine mesure compromet la prévision des impacts d’une introduction. De plus, lors d’une introduction d’un auxiliaire, la dynamique (Vorsino et al., 2011) et la dispersion (Simberloff & Stiling, 1996) de celui-ci sont des aspects, en général, très peu pris en compte dans l’évaluation des risques. Mais l’espèce introduite peut devenir plus ou moins virulente selon son adaptation, acquérir de nouveaux hôtes (Simberloff & Stiling, 1996), avoir un fort taux de reproduction/multiplication et possiblement devenir invasive (Pearson et al., 2003 ; Simberloff & Stiling, 1996 ; Koch et al, 2003).
L'introduction d’un auxiliaire en lutte biologique classique est en général irréversible. Cela nécessite donc un effort de gestion et de suivi pour évaluer le devenir de l'auxiliaire mais aussi l’impact de cette espèce dans l’écosystème (Offenberg, 2015).
Grâce à la mise en place de directives plus strictes et de protocoles plus réglementés (code de conduite pour l’importation et le lâcher des agents exotiques de lutte biologique de la FAO- Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture), les introductions réalisées aujourd’hui comportent moins de risques qu’auparavant (Brodeur,2012). Des études plus fondamentales sont désormais menées pour éviter les changements de cibles de l’agent introduit ((Vorsino et al., 2011)) et pour mieux les maîtriser (Geiger et al., 2010) afin de limiter les dommages sur les communautés autochtones (Hoki et al., 2014).
Enfin de nouvelles possibilités en lutte biologique sont étudiées, comme par exemple l’utilisation d’organismes opportunistes (Brodeur,2012). Des améliorations de l’efficacité des agents introduits sont apportées sur la sélection d’individus mutés pour un trait d’intérêt (Ferran et al., 1998).
Ainsi, la lutte biologique est en voie d’amélioration en termes de gestion des risques et d’efficacité.

CONCLUSION ET OUVERTURE
Comme nous avons pu le voir au travers de ces analyses, les pesticides sont efficaces et rentables mais ont un impact négatif sur l’environnement et la santé humaine. La remise en question de l’utilisation de cette méthode est donc justifiée. L’utilisation de la lutte biologique comme alternative semble à priori une bonne solution : efficace et peu coûteuse elle s’auto-entretient et régule les populations ciblées. Mais un changement pour l’utilisation de techniques plus écologiques reste souvent difficile (baisse du potentiel de lutte biologique après utilisation de la lutte chimique; Geiger et al., 2010), surtout dans les pays en développement, où l'utilisation des pesticides est un souvent perçue comme un risque à prendre pour éviter la famine et les maladies. Il existe donc un véritable dilemme quant à leur utilisation (Aktar et al., 2009). De plus il est clair qu’elle comporte à ce jour de trop nombreux points faibles pour se substituer à l’utilisation des pesticides. Elle n’est pas encore maîtrisée totalement et peut avoir des conséquences négatives et irréversibles sur les écosystèmes.
La méconnaissance de la biologie d’un auxiliaire peut empêcher l’anticipation des effets post-relâche de celui-ci. Des solutions manquent pour quantifier les dommages sur l’environnement causés par les agents de lutte biologique (Hoki et al., 2014). Mais des alternatives commencent à se développer pour mesurer ces impacts sur les communautés natives (avec des réponses différentes des auxiliaires face aux proies présentes; Hoki et al., 2014).
Par exemple, la q-value (ratio à l’équilibre des populations de proies avec et sans la population de prédateurs) est une méthode qui permet de quantifier l’efficacité du prédateur comme agent de contrôle biologique. Une q-value inférieure à 0.5 indique le succès de l’introduction (Hoki et al., 2014).
Une autre solution est de combiner la lutte biologique à d’autres méthodes (utilisation de phéromones, pesticides en petites quantités), appelée méthode IPM (Integrated Pest Management). Ainsi, de multiples améliorations sont à effectuer afin d’obtenir une lutte biologique efficace et sans risque.

Publiée il y a plus de 8 ans par Université de Montpellier.
Dernière modification il y a plus de 4 ans.

Cette synthèse se base sur 18 références.