Introduction
La chasse, ou l’action de chasser, de guetter ou de poursuivre les animaux pour les prendre ou les tuer, est par définition néfaste à la faune sauvage. On ne compte d’ailleurs plus les associations anti-chasse comme le Rassemblement des Opposants à la Chasse (ROC), et la chasse fait aujourd’hui l’objet de nombreuses réglementations. Pourtant, comme le disait Charles Dickens au XIXème siècle, « Il y a une passion pour la chasse qui est profondément implantée dans le cœur de l'homme ». Et aujourd’hui encore, la chasse tient une grande place dans les sociétés humaines, qu’elle soit de nature traditionnelle, sportive, légale ou illégale.
Il est donc essentiel pour les chercheurs de prendre en compte la chasse dans leurs études des populations animales, mais le plus souvent, celle-ci est considérée comme un facteur défavorable.
Pourrait-on envisager que la chasse ait un effet positif sur la biodiversité ?
Il serait tentant de ramener les interactions humaine / espèces chassées à des systèmes proies-prédateurs décrits par les modèles dits de Lotka-Volterra (1925, 1926). Or l’Homme, par son régime omnivore généraliste et à l’aide de la technologie, s’est extrait de sa dépendance aux dynamiques des espèces chassées.
De plus, l’Homme peut interférer avec les systèmes proies-prédateurs déjà établis, soit par concurrence avec d'autres prédateurs, soit en réduisant l’une des deux populations par peur, par intérêt ou par mégarde. Ces interférences peuvent entraîner des déséquilibres dans les écosystèmes et dans la biodiversité. Mais dans un cadre où les espèces auraient évolué en cohabitation avec l’Homme et ses pratiques de chasse, un arrêt brut pourrait également mener à une dérégulation des espèces jusqu’alors chassées et à des déséquilibres écosystémiques (Macdonald et al., 2017).
Après avoir présenté les effets néfastes présupposés de la chasse, nous chercherons à déterminer s’il existe des conditions requises pour réaliser une chasse durable, c’est-à-dire aux effets neutres sur la biodiversité. Enfin, nous étudierons les cas où la chasse a un effet positif, directement sur l’espèce chassée ou indirectement sur les espèces partageant son habitat.
Pour cela, nous nous intéresserons à une grande variété d’animaux, de lieux, et de types de chasse. Nous insisterons tout particulièrement sur les grands mammifères et la chasse aux trophées, dont la pratique fait particulièrement débat aujourd’hui.
I. Risques et dérives liés à la chasse et impact environnemental néfaste
De nombreux articles soulignent les effets néfastes de la chasse sur la biodiversité, tout d’abord en tant que facteur principal d’extinction des espèces. En effet, la chasse est responsable du déclin de nombreuses espèces de mammifères aujourd’hui (Hoffmann et al., 2011). Les mêmes tendances sont observées dans l’article de 2010 de Mbete et ses collaborateurs, qui montre que la chasse traditionnelle est à l'origine de l'extinction ou de la raréfaction de nombreuses espèces d'animaux sauvages. Si l’absence de mesures adéquates spécifiques pour la protection de la faune persiste, cela pourrait conduire, à terme, à l’extinction des espèces chassées et, indirectement, à celle d'autres espèces.
De plus, la chasse semble être une des motivations majeures pour l'introduction d'espèces exotiques afin de diversifier le nombre d'espèces à chasser et de remplacer les espèces indigènes en déclin. Néanmoins l’introduction de nouvelles espèces a de nombreux impacts négatifs sur les espèces indigènes (prédation, compétition, maladies et altération de l'habitat) et est donc néfaste pour la biodiversité originelle (Carpio et al., 2016).
La chasse des espèces indigènes peut également contribuer à une altération de l’habitat. En effet, maintenir de larges populations de ces grands animaux afin de les chasser, peut induire des perturbations des écosystèmes et du sur-pâturage, et donc contribuer au déclin de la biodiversité (Ripple et al., 2016).
La chasse aux trophées est une forme de chasse doublement néfaste pour les espèces chassées : en plus d’affaiblir démographiquement la population (en diminuant le nombre d’individus), elle modifie la structure des communautés en retirant des populations des individus aux caractères particuliers. Si ces individus sont "précieux" génétiquement, les flux génétiques peuvent être altérés et la population mise en danger par extinction de gènes rares (Harris et al., 2002). De plus, la chasse sélective peut favoriser des morphotypes qui ne seraient pas retenus par la sélection naturelle seule. Ceci est particulièrement visible pour des caractères dimorphiques tels que les défenses ou les cornes (Ripple et al., 2016 ; Pigeon et al., 2015). L’écologie comportementale des espèces chassées peut également induire des effets indirects néfastes de la chasse. Par exemple, l’infanticide dans des populations d’ours ou de lions est fortement accru par la pratique de la chasse qui vise particulièrement les mâles matures/dominants, favorisant un turnover trop fréquent et donc un déclin de la population (Gosselin et al., 2015 ; Whitman et al., 2002).
L’analyse des effets néfastes de la chasse permet d’identifier les facteurs de déclin et de les prendre en compte pour mettre en place des pratiques de chasse durables.
II. Contrer les effets négatifs pour une chasse durable
La considération des mécanismes évolutifs et des relations intra et interspécifiques est indispensable pour anticiper les effets de la prédation humaine sur les écosystèmes. Une prise en compte de ces implications écologiques dans le cadre d’une chasse strictement encadrée devrait permettre la mise en place d’une pratique durable de la chasse.
Il serait pertinent de mettre en place des quotas de chasse ne tenant pas seulement compte d’un nombre d’individus théoriquement acceptable, mais aussi d’un âge limite défini de manière à laisser se faire la reproduction et les interactions intraspécifiques telles que les prises de pouvoir (qui participent au maintien d’une bonne valeur adaptative des individus) et à éviter des phénomènes tels que des changements trop fréquents de mâles dominants (Whitman et al., 2004), des rapports de sexe trop asymétriques ou des altérations de fréquences alléliques (Harris et al., 2002).
L’introduction d'espèces-gibier exotiques peut participer au déclin des espèces autochtones par prédation, compétition ou transmission d’agents pathogènes. Il semble donc raisonnable d’éviter cette pratique (Carpio et al., 2016).
Les munitions en plomb ont des effets toxicologiques avérés (saturnisme) sur les vautours se nourrissant sur les carcasses laissées par les chasseurs (Gangoso et al., 2009). La chasse peut donc avoir des conséquences secondaires polluantes qui pourraient être évitées ou limitées avec l’utilisation de matériaux moins/non polluants pour remplacer le plomb.
Il est important de prendre en compte le temps de génération et la fécondité des animaux. Les grands mammifères en particulier ont un rythme de reproduction lent, avec peu de petits, si bien que même une faible pression de prédation de la part de l’Homme peut faire baisser leur démographie (Brook et Johnson, 2010).
III. Effets positifs : des effets indirects et des cas particuliers
La chasse peut donc se pratiquer de façon durable, c’est à dire en assurant le renouvellement de population de l’espèce chassée. Ceci peut notamment se produire grâce à un phénomène de compensation : si, dans beaucoup de cas, la mortalité due à la chasse s’additionne à la mortalité naturelle et ajoute une pression supplémentaire sur la population, elle peut, dans d’autres cas, réduire le taux de mortalité naturelle. En effet, si la pression de chasse reste faible, la réduction de densité de population qu’elle engendre peut induire une baisse de la compétition intraspécifique et ainsi diminuer la mortalité naturelle (Sandercock et al., 2010).
Ainsi, des effets strictement positifs de la chasse sur l’espèce chassée pourraient être envisageables avec un phénomène de surcompensation, mais les exemples sont quasi-inexistants. Dans les faits, les bénéfices de la chasse pour la biodiversité sont souvent dus à des effets indirects sur d’autres espèces.
Dans le cas où des espèces seraient introduites, leur chasse peut limiter leur impact invasif et favoriser les espèces natives en reportant une partie de la pression de chasse sur l’espèce introduite (Desbiez et al., 2011).
Les charognards tels que les vautours bénéficient d’une source de carcasses apportée par la chasse (Mateo-Tomás & Olea, 2009), tandis que les kangourous d'Australie de l’est sont favorisés par la chasse par brûlis qui crée une hétérogénéité végétale bénéfique et contrebalance l'effet néfaste de la chasse au kangourou elle-même. (Codding et al., 2014).
De plus, la perspective de pouvoir chasser incite les propriétaires de terrains agricoles à créer/entretenir des espaces forestiers sur leurs propriétés, ce qui est favorable à la biodiversité en général et ce y compris sur des terrains privés ne pouvant pas être protégés par l’État (Oldfield et al., 2003).
Enfin, la chasse aux trophées pratiquée sur des espèces menacées est souvent mise en avant comme outil de conservation des écosystèmes car les revenus qu’elle générerait encourageraient les populations locales et les gouvernements à préserver des espaces naturels, serait applicable dans des zones non propices à l'écotourisme et aurait un plus faible impact environnemental général que d’autres activités telles que l’écotourisme (Di Minin et al., 2016). La question de la validité de cette pratique comme moyen de conservation est très controversée et sort du cadre strictement biologique de notre problématique.
Toutefois, un effet bénéfique pour une espèce peut être contrebalancé par des effets associés néfastes pour d’autres espèces (les chasseurs peuvent entrer en compétition avec les prédateurs naturels, par exemple).
Conclusion
Il existe de rares cas où la chasse est bénéfique à la biodiversité : ce sont alors souvent des effets indirects positifs sur les espèces partageant l’habitat de l’espèce chassée qui s'exercent. Mais ils ne sont souvent pas sans contreparties pour l'écosystème entier qui subit la perturbation extérieure qu’est la chasse. Il est donc difficile de conclure en faveur de la chasse étant donné la complexité des interactions existant entre toutes les composantes de la biodiversité : un effet positif pour l’un d’entre eux s’avère souvent négatif pour d’autres.
Néanmoins, les études analysées dans cette controverse sont essentielles pour mieux comprendre ces interactions et donc donner des recommandations plus pertinentes pour une chasse durable. Cela est particulièrement important dans le contexte actuel de changements globaux (dérèglements climatiques, déforestation, menace par des espèces invasives, etc) qui rend les espèces autochtones potentiellement encore plus vulnérables aux pressions de chasse (Granados et Brodie, 2017).
Il est important de souligner la grande difficulté que représente l’évaluation précise et rigoureuse des impacts des pratiques humaines, dont les différents types de chasse, sur la faune et l’environnement [([voir Controverse])(/controverses/152)]. L’analyse au niveau évolutif et écologique des effets de la chasse sur la biodiversité nécessite des études multi-paramétriques, sur de grands pas de temps et à plusieurs échelles du vivant (génétique, taxonomique, fonctionnelle, etc). En effet, pour évaluer précisément les effets sur la biodiversité, il faut prendre en compte à la fois les effets directs et les effets indirects de la chasse aux différentes échelles, mais aussi les impacts combinés des autres activités humaines associées sur les mêmes territoires. Il peut également se révéler complexe d’effectuer des suivis rigoureux de l’évolution des populations chassées. Comparer les études sur les menaces et les actions de conservation de la biodiversité s'avère très compliqué puisque les méthodologies utilisées dans les articles sont souvent très différentes. Une classification standard pour décrire les menaces et les actions de conservation serait nécessaire.