Introduction
Même si les prémices de l'idée évolutive étaient déjà en place (Buffon, Lamarck, Cuvier), c'est Darwin en 1859, en publiant On the Origin of Species (De l'origine des espèces), qui énonça le socle théorique des sciences de l'évolution. Sa conception de l'évolution est gradualiste : faite de nombreux petits changements morphologiques s’accumulant sur un grand nombre de générations. Cette vision graduelle de l’évolution connut sa consécration lors de la publication de la théorie synthétique de l’évolution par laquelle zoologistes, paléontologues, généticiens des populations s’accordèrent enfin. C’est le paradigme qui a dominé la théorie de l’évolution durant le XXème siècle.
Mais cette vision de l’évolution n’était pas partagée par tous. Deux paléontologues, Gould et Eldredge, en 1972, ont publié la théorie des équilibres ponctués. Les gradualistes affirment que l'absence de données, quant aux différents états intermédiaires entre deux étapes de l'évolution dont on a pu observer des traces, sont dus à un échantillonnage incomplet : soit du fait de discontinuités dans les couches sédimentaires - soit parce qu'il faudrait plus de fouilles pour retrouver ces étapes. La théorie de Gould et Eldredge quant à elle stipule que ces manquements sont dus à des changements morphologiques rapides survenus en très peu de générations et au sein de populations isolées. Ils affirment également que ces phases de changements phénotypiques sont espacées par des périodes marquées par l’absence de changements phénotypiques majeurs, les stases.
Question
Comment les organismes évoluent ? Cette question fondamentale a certainement été l'un des moteurs des sciences de l'évolution et fait figure de problématique centrale.
Introduction
Le monde biologique auquel nous appartenons a toujours suscité un vif intérêt chez l’Homme. L’idée de l’évolution des organismes vivants a mis du temps à émerger chez les scientifiques. C’est Buffon qui, au XVIIIe siècle, est le premier à avoir parlé d’évolution avec son idée de dégénérescence mais il mit de coté cette idée, certainement influencé par ses idéaux religieux. On peut considérer que le vrai précurseur de l’idée évolutive fut Lamarck, avec sa théorie transformiste. Ses idées furent en contradiction avec celles de Cuvier, un des pères fondateur de la paléontologie. Il pensait que le monde subissait une succession de catastrophes biologiques de volonté divine. D’après lui, les espèces étaient différentes entre les catastrophes et utilisait cet argumentaire pour justifier le registre fossile. C’est à cette époque que la controverse entre la vision d’une évolution gradualiste, défendue par Lamarck, et celle d’une vision ponctualiste, soutenue par Cuvier, a commencé (Mercier & Thomas, 2008).
En 1859, quand Darwin publia The Origin of Species, la vision d’une évolution gradualiste, faite de nombreux petits changements morphologiques s’accumulant sur un grand nombre de générations s’imposa dans les esprits de la majorité des biologistes. Cette vision graduelle de l’évolution connue sa consécration lors de la publication de la théorie synthétique de l’évolution lors de laquelle zoologistes, paléontologues, généticien des populations s’accordèrent enfin. C’est le paradigme qui a dominé la théorie de l’évolution durant le XXème siècle. Mais cette vision de l’évolution n’était pas partagée par tous. De Vries, botaniste, fut l’un des premiers à affirmer dès le début du XXe siècle que des changements morphologiques majeurs peuvent apparaître en une génération. C’est le mutationisme. Ses idées furent repris par le généticien Goldschmidt en 1940 avec son modèle des monstres prometteurs. Selon lui, des mutations sur certains gènes du développement peuvent induire des changements morphologiques majeurs qui peuvent se révéler avantageux au sein d’un environnement donné. Cette théorie permettait d’expliquer l’absence des états morphologiques intermédiaires, les gaps, observés dans les registres fossiles. Ces divers travaux ont influencé deux paléontologues, Gould et Eldredge qui, en 1972, ont publié la théorie des équilibres ponctués. Alors que les gradualistes affirment que les gaps sont dus à des discontinuités dans la sédimentation, ou à un échantillonnage incomplet qui ne permet pas d'accéder à ces formes intermédiaires, la théorie de Gould et Eldredge quant à elle stipule que ces gaps sont dus à des changements morphologiques rapides survenus en très peu de générations au sein de populations isolées. Ils affirment également que ces phases de changements phénotypiques sont espacées par des périodes marquées par l’absence de changements phénotypiques majeurs, les stases (Gould & Eldredge, 1972, 1993). Cette problématique fondamentale a un champ d’application très large, allant même jusqu’au sciences médicales et à la compréhension du cancer (Caroline Reynaud & Marc Billaud, 2011). C’est pour cela qu’elle a été centrale dans la biologie évolutive.
Nous pouvons nous demander si, les rythmes d’évolution des organismes sont constants ? - Quels consensus se sont dégagés ? - Comment a évolué cette controverse, entre le gradualisme et les équilibres ponctués ?
Lors de cette synthèse nous présenterons dans une premier temps les résultats obtenus par l’étude des registres fossiles et les autre approches, puis nous expliquerons en quoi cette controverse s’inscrit dans un débat bien plus large, englobant de nombreuses notions en évolution et en écologie.
Etat des lieux des recherches originales
Suite à la publication de Gould et Eldredge, au début des années 1970, proposant une vision alternative au regard gradualiste de l’évolution et cela à une échelle macroévolutive, c’est-à-dire des changements qui ont lieu au stade supérieur de l’espèce, de nombreux paléontologues et biologistes ont tenté d’affirmer ou infirmer l’une des deux théories.
L’article original de Cheetham (1986) reste l’une des études de cas paléontologiques des plus persuasives supportant les équilibres ponctués. En étudiant des données fossiles de Bryozoiaires, animaux coloniaux aquatiques, il a constaté que les changements morphologiques entre espèces se sont fait de manière discontinue. Dans leur étude, Herrel et al. (2008) mettent en évidence un cas de divergence phénotypique brutale (évolution de la morphologie, du régime alimentaire et répercussion sur le comportement et la structuration de la population) chez une espèce de lézard en contexte insulaire, en moins de 36 ans. Ce cas d’étude supporte l’idée d’évolution par sauts et l’importance de l’allopatrie dans ce contexte. Par une approche pangénomique, Reuvenia & Guiliana (2012) identifient des sauts phénotypiques à une échelle moléculaire. Enfin, par une approche phylogénétique, Moore et al. (2015) décrivent une évolution ponctuée des membres postérieurs en lien avec la bipédie chez les gerboises, des rongeurs de la famille des Dipodideae. Il faut donc retenir que, par une approche paléontologique, génétique ou phylogénétique, de nombreux études prétendent décrire des résultats appuyant la théorie des équilibres ponctués (Caroll, 2000; Eldredge et al., 2005 ; Theissen, 2009 ; Pennell et al., 2014).
Les études appuyant le gradualisme sont, quant à elles, moins nombreuses que celles étayant la théorie ponctualiste. Cette vision historique de l’évolution étant en effet plus présente dans les esprits des évolutionnistes, ses détracteurs ont été très productifs. Gingerich, paléontologue spécialiste des primates et des cétacés, fut l’un des premiers à présenter des registres fossiles attestant d’une évolution graduelle, suivi par Kenneth Rose (1984), qui a présenté des résultats montrant une évolution similaire sur les dents de primates. L’étude de cas de Malmgren & Kennett (1981) est aussi un cas d’école dans la mise en évidence d’un gradualisme phylétique au sein d’une lignée de foraminifères. Les espèces vont évoluer lentement par des petites mutations successives. Une étude plus récente de Geary et al (2010), met en avant une évolution graduelle des traits morphologiques mesurés chez différents individus appartenant à 2 lignées de bivalves fossiles, les Lymnocardiides, dans une fenêtre de temps représentant 4 millions d’années.
Sans forcément chercher à rejeter une théorie par rapport à une autre, de nombreuses études appuient, à une échelle macroévolutive, la théorie ponctualiste comme beaucoup d’autres appuient celle du gradualisme. Ne s’excluant pas nécessairement, elles peuvent être toutes deux considérées comme constitutives de patrons macroévolutifs. Hopkinsa & Lidgarda (2012), offrent une étude statistique étendue, montrant que le mode d’évolution (gradualiste ou stase) varie d’un groupe de traits, comme la taille et forme de certaines parties morphologiques des individus, à un autre au sein d’une même lignée évolutive. L’évolution mosaïque pourrait ainsi être la règle au sein des lignées évolutives, signifiant que différents traits morphologiques d’un organisme (qu’il s’agisse de caractères ancestraux ou dérivés) peuvent évoluer à des taux différents, et ce inter ou intra-lignées.
Même si les études témoignant d’un registre fossile gradualiste sont moins nombreuses, un registre fossile dit “ponctué” peut toujours être analysé par un échantillonnage des strates sédimentaires éparses ou par une phase d’arrêt de la sédimentation. Il peut être donc être vu comme gradualiste avec des gaps. Un registre dit “gradualiste” ne peut en revanche pas être interprété comme étant ponctualiste. La réalité semble dans tout les cas plus nuancée qu’un dualisme rigide.
La plupart de ces études s’inscrivent dans une dynamique cherchant la mise en évidence de patrons macroévolutifs sans s’intéresser au processus sous-jacents. C’est au début du XXIe siècle que la controverse a pris un tournant avec les évolutionnistes qui furent de plus en plus nombreux à s’intéresser aux processus évolutifs soutenant l’une ou l’autre des thèses, notamment par la découverte de nouveaux mécanismes évolutifs, par exemple issus de la biologie du développement (Rutherford et Lindquist, 1998).
Évolution de la controverse : vers un élargissement du débat
L’augmentation considérable du nombre d’études portant sur les patrons macroévolutifs fut accompagnée par des avancées en biologie évolutive, par exemple sur la compréhension des processus de spéciation et des relations inter- et intraspécifiques. C’est ce qui a permis à Eldredge et al. (2005) de présenter des processus pouvant expliquer les stases évolutives observées dans de nombreux registres fossiles. Cette vision macroévolutive de l’évolution semble aujourd’hui s’imposer chez les évolutionnistes. Mais la controverse est loin d’être finie. Au contraire, le nombre et la diversité des études directement en lien avec elle, même ces cinq dernières années, prouvent bien que le débat n’est pas clos et reste, au contraire, d’actualité. Nous pouvons cependant considérer qu’il a fondamentalement évolué. Les scientifiques se sont plus intéressés à cette problématique à des échelles microévolutive, sur l’échelle de l’espèce, sur moins de 100 générations.
La diversité des approches du problème est aussi révélatrice de la portée éminemment complexe de la question. Soit elle intègre et recouvre de nombreux aspects primordiaux en macroévolution et relève donc d’une importance capitale, soit elle est une soupe d’amalgames. Pour Pennell et al. (2014), la controverse recouvre quatre questions en macroévolution et fait l’amalgame entre elles : (i) L’évolution opère t-elle graduellement ou par saut ? Les changements phénotypique ont-ils lieu lors des évènements de spéciation (cladogénèse) ou entre ceux-ci (anagénèse) ? (iii) Quand le changement est cladogénétique, les changements sont-ils adaptatifs ou conduits par des processus neutres ? (iv) Quel est l'importance de la sélection des espèces dans la formation des patrons de diversités ? Quoiqu’il en soit, cette analyse, même si elle est critiquée (Lieberman & Eldredge, 2014), est révélatrice du degré de complexité que peut recouvrir la théorie des équilibres ponctués, qu’il s’agisse de confusion sémantique, entre patrons et processus et entre les échelles micro- et macroévolutives.
En effet, il semblerait qu’il n’existe pas de consensus dans la représentation de la théorie des équilibres ponctués : c’est une idée ayant différentes implications d’une personne à une autre car ce n’est pas un modèle clairement défini. Ainsi, il n’est pas question de discréditer catégoriquement l’une ou l’autre théorie, mais tenter de reformaliser les questions de recherche afin de faire avancer le débat.
Le problème fondamental recouvrant la question du mode d’évolution dominant (gradualisme vs ponctualisme) est le suivant : (1) Quels patrons d’évolution et de diversification pouvons-nous clairement identifier à une échelle macroévolutive ? (2) Quels sont les processus clés et structurant les patrons macroévolutifs identifiables, en partant d’une échelle microévolutive ? Plus globalement, quels patrons et processus sont associés à l’évolution phénotypique ? Un vrai programme de recherche synthétique sur la macroévolution est ainsi souhaitable, intégrant données et théories de différentes disciplines, ainsi qu’un examen précis de quelles sont les questions fondamentales et de comment nous pouvons y répondre.
Conclusion
Finalement, les visions gradualistes et ponctualistes qui au premier abord ont scindé la communauté scientifique, n’apparaissent aujourd’hui pas exclusives. De nos jours, la plupart des scientifiques s’accordent pour dire que ces deux patrons macroévolutifs existent. Cependant les phénomènes évolutifs à large échelle ne peuvent pas être compris seulement par l’extrapolation des processus que l’on peut observer à l’échelle des espèces modernes et passées (Caroll, 2000). C’est justement l’un des coeurs du débat microévolutif actuel : les changements phénotypiques peuvent-ils s'opérer par des mutations à forts effets ? Autrement dit, les monstres prometteurs sont-il d’actualité ? (Theissen, 2009)
Publiée il y a presque 9 ans par Université de Montpellier.