Surpêche et aquaculture : introduction
La surpêche, ou surexploitation des écosystèmes marins, causée par l'augmentation de la demande en produits de la mer se traduit actuellement par un profond bouleversement du fonctionnement de ces écosystèmes, la réduction des populations de poissons et l’apparition de zones mortes[1]. De ce fait, à l’échelle globale, les débarquements de la pêche stagnent voire diminuent depuis les années 1980. L'aquaculture, l’élevage d’organismes aquatiques, née en Chine au 10ème siècle avant J.C. et retrouvée en Europe à partir de la Rome Antique, semble aujourd'hui pouvoir répondre à la demande croissante en protéines animales. Actuellement, ce secteur de production connaît une grande progression avec près de 7,5% d’augmentation chaque année[2][3] et est omniprésente dans le monde. En 2015, l’essor de l’aquaculture a permis dépasser la production des pêches et à la production mondiale d'atteindre 111 000 000 tonnes par an[4]. L'aquaculture d'espèces d'eau douce représente 84% de cette production tandis que l'aquaculture d'espèce marines et diadromes (vivants en eau douce puis en mer) représente 16% de la production en 2017[4]. Les effets de la surpêche étant marins, nous nous pencherons sur l'aquaculture de ces deux derniers types d'espèces. La majorité des produits de l’aquaculture marine est destinée à la consommation humaine mais d’autres débouchés existent telle que la production de farine de poisson ou de produits pharmaceutiques. Aujourd’hui, l’aquaculture strictement marine est dominée par les pays asiatiques et concerne principalement les Mugilidae (Mulets ; 230 000 T/an, 7,4% de la production annuelle mondiale), la Daurade royale (215 000 T/an, 7%) et le Bar (200 000 T/an, 7%[4]). A l’interface entre eau douce et mer, la Salmoniculture (Saumons Atlantique et Pacifique) représente une activité également considérable avec 2 400 000 tonnes de production annuelle. La pénéiculture, l’élevage de crustacés marins, est dominée par la production de crevettes au sens large (Crevettes, Gambas, etc.) avec 86% de la production et de crabes au sens large avec 11% de la production[4]. Enfin, la conchyliculture regroupe toutes les méthodes d’élevage des coquillages au sens large (Bivalves ou Gastéropodes) pour la consommation. L’aquaculture marine et diadrome produit donc une part importante de la consommation mondiale de produits de la mer, en constante augmentation. Il convient alors de se demander : cette aquaculture est-elle une solution face aux problèmes liés à la surpêche des populations sauvages ?
1 - Et si l'aquaculture marine était la solution pour pallier la surpêche ?
Tout d’abord, l’augmentation de la part de l’aquaculture dans la demande en produits de la mer semble permettre de réduire la pression sur les espèces pêchées[2]. Elle joue un rôle dans la valorisation des pêches grâce un ensemble d’approches de gestion qui impliquent la valorisation d'une plus grande partie des produits péchés, la libération d’organismes d’élevage et une meilleure gestion des stocks[5]. Ce système va également aider à combler la stagnation voire le déficit de la production des pêcheries face à l’augmentation de la demande. En effet, l’aquaculture implique une forte potentialité spatiale qui permettrait de réduire la pression sur les espèces pêchées en augmentant les espaces dédiés à l’aquaculture[6]. Selon une étude[6], 1 400 00 km² sont disponibles pour la production de poissons et 1 500 00 km² pour les bivalves. Ainsi, la production potentielle totale est considérable, si toutes les zones désignées comme appropriées dans cette analyse étaient développées (sans contraintes économiques, environnementales ou sociales), il est estimé qu'environ 15 milliards de tonnes de poissons pourraient être élevés chaque année, soit plus de 100 fois la consommation mondiale actuelle de produits de la mer. La stabilité de l’aquaculture se retranscrit également grâce à la diversité des espèces élevées, leur alimentation et les pratiques d'élevage. D’autre part, l’aquaculture en pleine mer présente un avantage pour certaines espèces de poissons sauvages car les cages à poissons en mer sont des sites d’établissement et de croissance pour de nombreuses espèces juvéniles en Mer Méditerranée par exemple[7][8]. Les poissons juvéniles peuvent s’associer étroitement à la structure flottante des cages afin de se protéger des prédateurs et ont accès à l’alimentation des espèces élevées en aquaculture[7][8]. Ces systèmes constitueraient donc une aide au maintien des populations sauvages en favorisant la protection des juvéniles. Enfin, l’aquaculture peut procurer des services écosystémiques comme le traitement des déchets de l’eau, la bioremédiation et la structuration voire l’amélioration de l’habitat[2]. Par exemple, l'utilisation de filtreurs (Mollusques bivalves) ou certaines algues peut contribuer à minimiser les niveaux d'enrichissement en nutriments des eaux côtières résultant d'autres activités humaines[9] et ainsi améliorer la qualité de l'habitat côtier, favorable aux larves de poissons sauvages[1].
2 - L'aquaculture marine comporte pourtant de nombreux points noirs
Cependant, l’aquaculture est également connue pour ses effets néfastes sur l’environnement : introduction d'espèces exotiques, interactions génétiques, transfert de maladies, rejet de produits chimiques, utilisation des ressources sauvages, modification des habitats côtiers et perturbation de la faune sauvage[10], autant de facteurs fragilisant le milieu marin et aggravant directement ou indirectement la surpêche. Si l’on souhaite que l’aquaculture constitue une solution face aux problèmes liés à la surpêche, il convient de s'assurer que la production par l’aquaculture permet effectivement de compenser et remplacer les captures de pêche en mer. Longo et collaborateurs (2019)[11] prouvent que la réponse est non. De 1970 à 2014 et sur 173 pays, la production aquacole mondiale ne remplace pas significativement les captures de la pêche ; au contraire, l'aquaculture s'ajoute aux captures de pêche déjà existantes. Les deux pratiques se superposent pour in fine augmenter les captures totales et aggraver la surpêche[11][1]. De plus, de 1950 à 2010, 25% des captures de pêche en milieu sauvage n’ont pas été destinées à l’alimentation humaine directe mais à la production d’huile et farine de poisson, utilisées dans 70% des fermes aquacoles pour nourrir les poissons d’élevage[12]. Ainsi l’aquaculture induit indirectement une déplétion des stocks de poissons sauvages, pouvant compromettre la sécurité alimentaire mondiale, 90% de ces espèces étant de grande qualité nutritive[12]. De plus, l’utilisation de ses farines pour l’aquaculture affaiblit son rendement : il faut actuellement 4 à 5 kilos de poissons frais pour produire 1 kilo de farine et 1.2 kilos de celle-ci pour produire 1 kilo de saumon[1], sans compter que l'élevage de Thon rouge (Thunnus thynnus) de Méditerranée, dont la reproduction artificielle n'est pas maitrisée, n'est possible qu’après la capture de jeunes Thons sauvages qui rempliront les fermes (activité d'embouche). Chaque kilo élevé suppose donc des kilos pêchés. De plus, les conséquences de ces prises se répercutent sur les réseaux trophiques marins car les poissons "fourrage" jouent un rôle clé dans les écosystèmes en substantant les niveaux trophiques supérieurs (poissons carnivores, mammifères et oiseaux marins). Ainsi, leur surpêche appuyée par les besoins de l’aquaculture représente un risque potentiel de diminution de la production des espèces de plus haut niveau trophique[13], fragilisant donc les activités de pêche[1]. Ensuite, nous avons vu que la salmoniculture est un secteur grandissant, or, Ford et collaborateurs (2008)[14] ont mis en évidence un effet fortement délétère de l'aquaculture de Saumons sur les populations sauvages de Salmonidés vivants à proximité des fermes. En effet, en Écosse, Irlande, Canada Atlantique et Canada Pacifique, les maladies et parasites issus des élevages affectent les Salmonidés sauvages. De la même manière, la majorité des exploitations conchylicoles induisent de potentiels échanges de pathogènes entre les animaux sauvages et d'élevage. Notons de plus que les Bivalves, en tant que filtreurs, peuvent accumuler des pathogènes dangereux pour les espèces qui les consomment, y compris les poissons[10]. Une autre préoccupation concerne les échappés d'élevage qui s'hybrident avec les populations sauvages et qui réduisent leur diversité génétique. Cossu et collaborateurs (2019)[15] ont démontré que dans l'ensemble, les populations d'élevage présentent une plus petite taille effective de population et des niveaux d'apparentement plus élevés que les populations sauvages. C'est le cas de la Daurade royale (Sparus aurata) élevée en Méditerranée qui subit davantage de dérive génétique et présente un plus fort taux de consanguinité. Cette espèce représente jusqu’à 76,4% du total des évasions enregistrées en Europe. Ainsi, la diversité génétique des poissons d’élevage est faible et peut se répercuter sur les populations sauvages du fait des échappés d’élevage.
3 - Besoin d'une solution durable
L'aquaculture marine ne semble donc pas clairement bénéfique pour l'environnement. L’aquaculture intensive ne résout pas les problèmes de surpêche, au contraire, elle peut les aggraver. Une aquaculture durable et raisonnée, notamment en élevant des mollusques filtreurs (marins et d'eau douce) et des poissons herbivores (en eau douce principalement) pourrait être la solution durable à la demande grandissante en protéine animale[1]. Cette notion de durabilité a été définie par Frankic et collaborateurs (2003)[9] comme la “capacité d'une société, d'un écosystème ou de tout autre système permanent de continuer à fonctionner dans un avenir indéfini sans être contraint au déclin par l'épuisement ou la surcharge des ressources clés desquelles ce système dépend”. L’enjeu principal de la durabilité est de réduire le nourrissage avec des farines de poissons et de mieux comprendre le cycle de vie des espèces élevées afin de ne plus avoir à les prélever dans la nature. Il faudrait augmenter la proportion d’élevage de mollusques filtreurs qui ne requièrent pas de farines animales et qui peuvent être bénéfiques pour leur environnement. Notons cependant que la présence de ces élevages diminue également la diversité au sein des communautés d'espèces benthiques sauvages en favorisant les espèces généralistes et opportunistes[8]. Agir sur la qualité et la quantité d’aliments distribués aux poissons d’aquaculture (farine et huile de poisson) pourrait réduire la pollution générée par les excès d’azote et de phosphore et améliorer le rendement de ces élevages. D’autres denrées alimentaires comme les microalgues ou des substituts plus durables ont été envisagés et permettraient de réduire la demande en poisson fourrage d’ici 2030, tout en apportant une source riche en protéines et lipides[16]. Le développement des IMTA[17] (aquaculture intégrée multi-trophique, Integrated Multi-Trophic Aquaculture) peut être une solution. Cette approche consiste à atténuer les effets écologiques des monocultures de poissons tout en intensifiant la production en aquaculture. L’IMTA repose sur des espèces aquacoles provenant de niveaux trophiques différents et de fonctions écosystémiques complémentaires, de sorte que les aliments non consommés et les déchets d'une espèce puissent être consommés par d’autres animaux, par exemple, les déchets azotés des poissons fertilisent des microalgues nourrissant des moules. Les processus biologiques et chimiques sont donc équilibrés. Les modèles mathématiques ont montré qu’il était possible, dans ce type de système, de maximiser la productivité tout en réduisant les impacts environnementaux et les pertes économiques[18].
Conclusion
Ainsi, la question de l’aquaculture marine et diadrome comme solution face à la surpêche constitue un vif débat tant sur le plan écologique (cette synthèse) que social et économique. Actuellement, les inconvénients de l'aquaculture marine dépassent ses bénéfices en ne compensant pas l'impact des captures de pêches destinées à l'alimentation humaine. Elle a un effet direct sur l'environnement marin notamment via une dégradation écologique et génétique des milieux. Cependant de nouvelles approches comme l'IMTA pourraient rendre l’aquaculture plus durable et pourrait constituer une solution face aux problèmes liés à la surpêche. Enfin, la solution réside peut-être dans l'aquaculture d'espèces d'eau douce aujourd'hui majoritaire mais dont les effets écologiques n'ont pas été évalués ici.