Schéma récapitulatif des causes possibles des extinctions de la mégafaune pour chaque continent en fonction d'un gradient Homme-Climat.

Introduction

La fin du Pléistocène est marquée par des extinctions successives de nombreux taxons de la mégafaune à l’échelle mondiale. Plusieurs hypothèses ont été formulées au cours de ces dernières décennies pour tenter de trouver la ou les causes qui ont provoqué ces extinctions, sans parvenir à un consensus au sein de la communauté scientifique. L'Homme, et plus particulièrement ses activités de chasse, sont impliqués comme cause principale des extinctions dans certaines de ces hypothèses qui sont vivement contestées par certains experts. Cette synthèse a donc pour objectif d'apporter des précisions sur l'implication de l'Homme dans les extinctions qui continue d'être débattue dans la communauté scientifique. Dans un premier temps, nous allons présenter brièvement les principales hypothèses qui ont été formulées dans le cadre de cette controverse ainsi que les arguments apportés en faveur ou contre la théorie de la surchasse. Nous décrirons ensuite les extinctions à l'échelle des différents continents afin d’en mettre en évidence les causes, mais aussi de les comparer afin de déterminer si l'effet de l'Homme sur la mégafaune est identique sur l'ensemble des continents.

L’Homme est-il responsable des extinctions ?

L’hypothèse de la surchasse (Overkill hypothesis), émise par Martin en 1967, marque le début d’un important débat dans la communauté scientifique. Il soutient l’idée que la mégafaune était vulnérable à la chasse à cause de reproductions tardives, espacées, et d’un effectif limité. Par exemple, la culture Clovis, qui constitue les premiers groupes de chasseurs en Amérique du Nord, est directement associée à des extinctions rapides de la mégafaune sur ce continent[1]. Les résultats de certaines études sont en faveur de cette hypothèse[1][2][3]. Par exemple, une étude du registre fossile américain complet à démontré que la chronologie observée des extinctions correspond à la chronologie prédite par Martin dans son hypothèse[3]. Toutefois, la critique associative (Associational Critique) va à l’encontre de cette hypothèse en signalant le fait que le faible nombre de sites archéologiques en association avec des restes de la mégafaune ne permet pas d’en déduire un effet de l’Homme. D’autres auteurs, apportant des éléments en faveur de la réfutation taphonomique, démontrent que le manque de preuves archéologiques n’est pas une preuve irréfutable de l’absence d’effet de l’Homme sur la mégafaune[4].

La majorité des opposants à l’hypothèse de la surchasse sont des scientifiques soutenant un changement environnemental, et notamment climatique, comme cause principale de la disparition de la mégafaune. Cette hypothèse peut potentiellement expliquer les extinctions survenues lors de la transition entre le Pléistocène et l’Holocène. Pourtant, les changements climatiques rapides survenus au cours du Pléistocène ne semblent pas avoir induit la disparition de la mégafaune[5]. D’autres hypothèses alternatives ont été formulées ces dernières années, avec notamment l’impact extraterrestre, mais aucune ne forme de consensus dans la communauté scientifique[6].

Que se passe-t-il à l’échelle des continents ?

L’Afrique est considérée comme une anomalie du point de vue des extinctions de la mégafaune. En effet, 38 genres ont survécu jusqu’à aujourd’hui contre moins de 20 sur les autres continents (Koch & Barnosky, 2006). Pourtant, ce sont tout de même 25% de la mégafaune qui ont disparu[7], mais seul un faible nombre de publications s’intéresse à l’Afrique et les données paléontologiques manquent souvent de fiabilité. Les extinctions sur ce continent ont débuté au Pliocène, avec une diminution marquée à partir de -4,6 Ma, et se sont poursuivies jusqu’à l’orée de l’Holocène. Le point de rupture de -4,6 Ma correspond au développement des prairies en C4, favorisant les taxons “paisseurs” au détriment des “brouteurs”. À cette date, les hominidés étaient des australopithèques incapables de chasser[8]. Les extinctions de la fin du Pléistocène concernent quant à elles majoritairement les “paisseurs”, qui coexistaient avec Homo sapiens depuis 200 000 ans. Leur grande spécialisation aux prairies arides les aurait rendus sensibles aux changements de climat et d’habitat[7]. Les données sont donc en faveur d’extinctions progressives, sur un temps long, causées par des changements environnementaux.

L’écorégion australasienne a perdu 91% de sa mégafaune au cours du Pléistocène[5] et nombre de publications soulignent que les données fossiles sont peu nombreuses et peu fiables pour cette écorégion. De plus, l’extinction de la mégafaune a eu lieu autour de 42 000 BP soit à la limite de la datation au 14C, ce qui rend son étude particulièrement délicate. Les Hommes modernes ont colonisé l’Australie quelques milliers d’années avant, entre 55 et 45 000 BP, et cette coïncidence temporelle soulève la question d’un éventuel effet anthropique. A l’échelle globale, les études révèlent que la mégafaune avait déjà subi des changements climatiques et environnementaux avant son extinction, par exemple le climat aride du MIS5 ou la diminution du couvert forestier à 70 000 BP, sans en être affectée[9][10]. Ces études globales sont donc en faveur de l’Homme comme seul responsable. Cependant, une étude montre qu’à l’échelle locale des disparités existent entre les régions concernant les causes des extinctions. En Tasmanie, l’Homme et la mégafaune n’ont pas coexisté et seul le climat aride est responsable des extinctions. Par contre, dans le Sud-Est les causes majeures mises en évidence sont l’Homme et le manque d’eau potable. Ainsi, si à l’échelle globale il semble que l’Homme ait eu un impact majeur sur la mégafaune australienne, ce n’est pas toujours le cas aux différentes échelles locales[11].

En Eurasie, 40% des espèces de la mégafaune ont disparu[5]. Lors du Bølling-Allerød, le climat s’est progressivement réchauffé, provoquant un changement de végétation : les steppes et toundras, milieux ouverts, laissent place aux forêts. Ces modifications environnementales, associées à l’alternance de stadiaux et interstadiaux, auraient rendu vulnérables de nombreuses espèces[12]. C’est le cas par exemple pour le bœuf musqué[13]. Les populations de mammouths et le rhinocéros laineux étaient fragmentées et leurs ressources alimentaires se réduisaient[14]. Cependant, le cheval et le bison semblent, eux, avoir été plutôt affectés par la colonisation humaine[13]. Certains auteurs proposent ainsi les impacts humains, et plus particulièrement la chasse, comme facteur aggravant du déclin de la mégafaune[2] mais le degré de responsabilité de l’Homme ne fait pas consensus et diffère selon les espèces. La majorité des extinctions en Eurasie est donc attribuée à des changements environnementaux et l’Homme a précipité l’extinction de certains taxons.

En Amérique du Nord, près de 70% de la mégafaune totale se sont éteints[5] entre 14 et 12 000 BP. Les extinctions se seraient déroulées chronologiquement du nord au sud du continent[3] et leurs causes restent à ce jour très débattues, notamment de par le fait qu’elles sont particulièrement difficiles à étudier puisque la colonisation du continent par l’Homme s’est déroulée à la même période que les changements climatiques. Certaines études suggèrent que l'impact de l’Homme est la principale cause des extinctions de la mégafaune sur le continent[1][2], mais d’autres études ont démontré que les changements climatiques auraient également eu un effet sur la mégafaune[13][15]. Toutefois, il semblerait que d’autres facteurs soient impliqués dans les extinctions puisque les changements climatiques ne permettent pas de les expliquer pleinement[15]. D’autres travaux suggèrent que la cause des extinctions varie en fonction des taxons mais aussi de l’échelle spatiale à laquelle elles sont étudiées[13][16]. Par exemple, il a été démontré que l’activité de chasse humaine est la principale cause de la disparition des mammouths aux États-Unis contigus tandis qu’au sud-ouest du pays, les populations auraient été uniquement affectées par les changements climatiques, et qu’au nord-est, les populations auraient été affectées à la fois par la chasse humaine et les changements climatiques[16]. Ainsi, la mégafaune en Amérique du Nord semble avoir été affectée à la fois par l’Homme mais aussi par les changements climatiques à des degrés différents selon les régions.

Concernant l’Amérique du Sud, plus de 80% de la mégafaune se sont éteints[5]. Les extinctions auraient commencé il y a 30 000 ans au nord du continent avant l’arrivée de l’Homme, et seraient devenues plus intenses et rapides aux plus fortes latitudes environ 1000 ans après que l’Homme ait commencé à coloniser le continent[17][18][3]. Les changements climatiques n’ont pas affecté similairement les différentes régions, les populations de mégafaune se sont donc retrouvées fragmentées et certaines ont fini par s’éteindre avec l’arrivée de l’Homme dans ces zones refuges[18][19]. Cela a notamment été démontré pour plusieurs espèces de Proboscidiens par exemple[18]. Par ailleurs, l’hypothèse du Broken Zig-Zag semble donc plausible au sud du continent[18], néanmoins des études supplémentaires seraient nécessaires pour améliorer notre compréhension de l’impact humain sur les extinctions de la mégafaune en Amérique du Sud.

Conclusion et perspectives

Les causes des extinctions de la mégafaune au Pléistocène continuent de faire l’objet d’un vif débat jusque dans les publications les plus récentes, signe que cette controverse est bel et bien toujours actuelle. La communauté scientifique s’accorde sur la succession de périodes de réchauffement et de refroidissement au cours du Pléistocène, modifiant l’environnement à la surface du globe. D’autre part, la coexistence Hommes-mégafaune et les données fossiles permettent d’envisager sérieusement un effet de l’Homme. Cependant, les extinctions de la mégafaune ne peuvent toutes être expliquées par une seule et même cause globale, quelle qu’elle soit. Notre analyse bibliographique a en effet mis en évidence des différences entre les continents, leur conférant à chacun une place propre sur le spectre “cause anthropique-cause climatique”. À ces différences s’ajoutent également des disparités à l’échelle locale, au sein même d’un continent. Enfin, le Pléistocène s’étendant sur plus de deux millions d’années, les causes d’extinctions varient selon la fenêtre temporelle considérée. Pour répondre à la question “L’Homme est-il responsable des extinctions de la mégafaune au Pléistocène”, il convient donc de préciser le cadre d’étude.

La persistance de cette controverse dans la communauté scientifique peut aussi être expliquée par de nombreux biais associés aux études paléontologiques. En effet, la qualité du registre fossile peut varier considérablement d’une localité à l’autre. Certaines régions, telle que la région indomalaise, présentent des registres pauvres pouvant résulter de mauvaises conditions lors des processus taphonomiques, mais aussi d’un manque d'intérêt de la part des scientifiques pour la région considérée. De plus, le fait qu’un enregistrement fossile pour une espèce donnée n’est jamais complet ne permet qu’une approximation des dates d’extinctions. Ce biais, connu sous le nom d’”effet Signor-Lipps”, stipule que le premier et le dernier individu d’un taxon ne peuvent être retrouvés dans le registre[20]. Il est alors indispensable d’employer une approche intégrative, en combinant plusieurs méthodes et disciplines, pour pallier aux limites rencontrées actuellement. Une autre explication réside dans le fait que deux paradigmes se confrontent dans cette controverse : certains experts soutiennent une cause environnementale tandis que d’autres soutiennent une cause anthropique. De ce fait, la controverse se trouve dans un blocage conceptuel depuis plusieurs décennies[6]. Néanmoins, une augmentation du nombre d’études parues intégrant à la fois des variables anthropiques et environnementales est observée. Par exemple, l’apparition récente de l’hypothèse Plaids & Stripes illustre cette tendance en intégrant des processus biologiques, tels que l’étude des traits écophysiologiques, afin de trouver, non pas la cause mais les causes et leurs degrés d’implication respectifs dans les extinctions de la mégafaune[6][20]. Finalement, améliorer notre compréhension des mécanismes régissant les extinctions de la mégafaune du Pléistocène permettrait de prédire l’évolution de la mégafaune en danger d’extinction face aux pressions anthropiques et aux changements climatiques actuels.

Publiée il y a plus de 3 ans par M. Gautier et collaborateurs..
Dernière modification il y a plus de 2 ans.

Cette synthèse se base sur 20 références.